HOMMAGE D'ERNEST PEPIN A AIME CESAIRE (2ème partie)
Illustration Serge Diantantu (www.sergediantantu.com)
"Les mots de la victime charroient des squelettes, des requins, du sang, des rêves effondrés, des cauchemars tenaces, des impossibles de l’existence, des sanglots noirs. Cependant loin de se stériliser dans le crachat des douleurs, les mots de la victime redessinent l’horizon, reconfigurent la pensée, postent une espérance, en saisissant la totalité de l’humain. Il est place alors pour des trouées de tendresse, des chevelures déployées, des rousseurs splendides, des ailes de menfenil, de pollens. Autant le vocabulaire des douleurs est biologique (et psychique) autant celui de l’espérance s’amarre souvent au paysage (extérieur/intérieur) comme la barque même d’une terre promise.
Les mots du bourreau sont inscrits en creux dans cet inventaire poétique de l’inacceptable. Ils sont présents dans les traces, les cicatrices, les sillons comme une écriture dans l’écriture qui vient épaissir le sens et le sang. Le passage de la terre damnée à la terre promise, de la barbarie à l’humanisme, s’opère par tous les supports de la migration, du voyage, du mouvement (cheval), du flux, de la mer et même de la pensée, de la germination. Toute une prolifération énergétique est alors convoquée.
Nous montons…
Mot de passe !
Il n’échappera à aucun lecteur que nous nous trouvons devant une poésie-paysage. Je veux dire que le paysage est dans l’œuvre d’Aimé Césaire la matrice d’une poétique constamment animée par les valeurs symboliques du désastre ou du salut. Une vision quasiment animiste, vitaliste et philosophique du paysage s’impose au poète et son action, dès lors, relève du déchiffrement d’un autre langage dispersé dans les mares, les mangroves, les volcans, la mer, les mornes etc. Le paysage se lit et se lisant engendre les images, les symboles, les raccourcis d’une conscience toujours en état d’alerte et qui détecte les fractures, les blessures afin de tenter le miracle d’une possible guérison et d’un surgissement total de l’être au monde.
« Les cent pur-sang hennissant du soleil »
« Essentiel paysage »
« La paupière des brisants »
« La mer humant la paix sacrificielle » (in Poème Les pur-sang)
« Bananier pathétique » (in Survie)
« le lait des mancenilliers » (in la forêt vierge)
« les ignames dans le sol marchent à grands pas de Trouées d’étoiles » (in tam-tam II)
« l’hibiscus qui n’est pas autre chose d’un œil éclaté D’où pend le fil d’un long regard, les trompettes des Solandres, Le grand sabre noir des flamboyants (…) (in Elégie)
Il y a en a tant et tant dans un processus de déconstruction rageuse et de reconstruction espérante.
Comme si le mot, la phrase, le vers, le dit devaient emporter sur ses semelles cette renaturation des concepts les plus abstraits. Cette domiciliation d’un imaginaire vibrant de toutes les données du paysage et du pays. Il y a dans Aimé Césaire un vieux paysan qui scrute les mystères des fourmis folles, l’invisible poussée de la plante, les formes étranges et contagieuses qui enflamment la beauté barbare d’un réel où les racines se confondent avec les lignes de la main, où le va-et-vient des ordres du vivant brise les frontières et projette l’immense liberté d’une esthétique du désordre et de la communion. Toute sa vie durant, il a tiré du paysage la force d’une revitalisation et la formulation sublime d’un univers où la pensée accepte les incessantes métamorphoses par où passe contradictoirement les cauchemars et les rêves.
Alors on a parlé de surréalisme. On a même parlé de surréalisme noir ! « Je n’ai jamais été surréaliste ! » m’a confié Aimé Césaire d’une voix presque indignée. Lorsque le regard transforme le regardé en mémoire des origines, en insoutenable défilé de monstres, en coalescence de la diversité et pour finir en principe même des forges de la vérité, le surréel apparaît. Parce que rien n’est plus onirique que le réel. Il suffit de prendre un microscope, une longue vue, pour s’en rendre compte. En ce sens Aimé Césaire est peut-être d’un réalisme extrême : celui qui restitue au réel toute la lucidité d’un regard dont le terreau est fertilisé par une somme de savoirs. Et nous sommes pris avec lui dans « le sacré tourbillonnant ruissellement primordial au recommencement de tout »
Souvenez-vous :
« le bananier lustre son sexe violet »
« le morne oublié, oublieux de sauter »
« les étoiles plus mortes qu’un balafon crevé »
« la mort hoquette comme l’eau sous les cayes »
« les herbes balanceront pour le bétail vaisseau doux de l’espoir le long geste d’alcool de la houle »
Cahier d’un retour au pays natal !
Et qu’il me soit permis d’ajouter que c’est dans cette lecture du paysage, dans cette invention poétique du paysage que Césaire est créole.
« la paupière des brisants se referme »
« feu juste feu du manguier de nuit couvert d’abeilles »
« lézards avaleurs de soleil »
« le jet du grand mapou »
« la race royale des amandiers de l’espérance »
« l’accolade des sangsues fraternelles »
« le palmier à travers ses doigts s’évade comme un remords »
« un bouquet d’oiseaux-mouches »
« tout un mai de canéficiers »
« les cécropies cachent leur visage
Et leurs songes dans le squelette de leurs mains phosphorescentes »
« assez que les mots se transforment en cassave de poussière »
« quand les carêmes pourchassaient par les mornes L’étrange troupeau des rousseurs splendides »
Quand je dis que Césaire est aussi créole, je veux dire que ses images sont montées sur un imaginaire créole comme le diamant au sommet de sa bague. Il faut pour écrire cela non seulement une intimité avec le paysage, mais encore cette limaille créole qui vient s’aimanter au pur métal des visions.
Par contre, il n’est pas que créole, ouvert aux souffles du monde dès lors qu’ils servent son expression."
Les mots du bourreau sont inscrits en creux dans cet inventaire poétique de l’inacceptable. Ils sont présents dans les traces, les cicatrices, les sillons comme une écriture dans l’écriture qui vient épaissir le sens et le sang. Le passage de la terre damnée à la terre promise, de la barbarie à l’humanisme, s’opère par tous les supports de la migration, du voyage, du mouvement (cheval), du flux, de la mer et même de la pensée, de la germination. Toute une prolifération énergétique est alors convoquée.
Nous montons…
Mot de passe !
Il n’échappera à aucun lecteur que nous nous trouvons devant une poésie-paysage. Je veux dire que le paysage est dans l’œuvre d’Aimé Césaire la matrice d’une poétique constamment animée par les valeurs symboliques du désastre ou du salut. Une vision quasiment animiste, vitaliste et philosophique du paysage s’impose au poète et son action, dès lors, relève du déchiffrement d’un autre langage dispersé dans les mares, les mangroves, les volcans, la mer, les mornes etc. Le paysage se lit et se lisant engendre les images, les symboles, les raccourcis d’une conscience toujours en état d’alerte et qui détecte les fractures, les blessures afin de tenter le miracle d’une possible guérison et d’un surgissement total de l’être au monde.
« Les cent pur-sang hennissant du soleil »
« Essentiel paysage »
« La paupière des brisants »
« La mer humant la paix sacrificielle » (in Poème Les pur-sang)
« Bananier pathétique » (in Survie)
« le lait des mancenilliers » (in la forêt vierge)
« les ignames dans le sol marchent à grands pas de Trouées d’étoiles » (in tam-tam II)
« l’hibiscus qui n’est pas autre chose d’un œil éclaté D’où pend le fil d’un long regard, les trompettes des Solandres, Le grand sabre noir des flamboyants (…) (in Elégie)
Il y a en a tant et tant dans un processus de déconstruction rageuse et de reconstruction espérante.
Comme si le mot, la phrase, le vers, le dit devaient emporter sur ses semelles cette renaturation des concepts les plus abstraits. Cette domiciliation d’un imaginaire vibrant de toutes les données du paysage et du pays. Il y a dans Aimé Césaire un vieux paysan qui scrute les mystères des fourmis folles, l’invisible poussée de la plante, les formes étranges et contagieuses qui enflamment la beauté barbare d’un réel où les racines se confondent avec les lignes de la main, où le va-et-vient des ordres du vivant brise les frontières et projette l’immense liberté d’une esthétique du désordre et de la communion. Toute sa vie durant, il a tiré du paysage la force d’une revitalisation et la formulation sublime d’un univers où la pensée accepte les incessantes métamorphoses par où passe contradictoirement les cauchemars et les rêves.
Alors on a parlé de surréalisme. On a même parlé de surréalisme noir ! « Je n’ai jamais été surréaliste ! » m’a confié Aimé Césaire d’une voix presque indignée. Lorsque le regard transforme le regardé en mémoire des origines, en insoutenable défilé de monstres, en coalescence de la diversité et pour finir en principe même des forges de la vérité, le surréel apparaît. Parce que rien n’est plus onirique que le réel. Il suffit de prendre un microscope, une longue vue, pour s’en rendre compte. En ce sens Aimé Césaire est peut-être d’un réalisme extrême : celui qui restitue au réel toute la lucidité d’un regard dont le terreau est fertilisé par une somme de savoirs. Et nous sommes pris avec lui dans « le sacré tourbillonnant ruissellement primordial au recommencement de tout »
Souvenez-vous :
« le bananier lustre son sexe violet »
« le morne oublié, oublieux de sauter »
« les étoiles plus mortes qu’un balafon crevé »
« la mort hoquette comme l’eau sous les cayes »
« les herbes balanceront pour le bétail vaisseau doux de l’espoir le long geste d’alcool de la houle »
Cahier d’un retour au pays natal !
Et qu’il me soit permis d’ajouter que c’est dans cette lecture du paysage, dans cette invention poétique du paysage que Césaire est créole.
« la paupière des brisants se referme »
« feu juste feu du manguier de nuit couvert d’abeilles »
« lézards avaleurs de soleil »
« le jet du grand mapou »
« la race royale des amandiers de l’espérance »
« l’accolade des sangsues fraternelles »
« le palmier à travers ses doigts s’évade comme un remords »
« un bouquet d’oiseaux-mouches »
« tout un mai de canéficiers »
« les cécropies cachent leur visage
Et leurs songes dans le squelette de leurs mains phosphorescentes »
« assez que les mots se transforment en cassave de poussière »
« quand les carêmes pourchassaient par les mornes L’étrange troupeau des rousseurs splendides »
Quand je dis que Césaire est aussi créole, je veux dire que ses images sont montées sur un imaginaire créole comme le diamant au sommet de sa bague. Il faut pour écrire cela non seulement une intimité avec le paysage, mais encore cette limaille créole qui vient s’aimanter au pur métal des visions.
Par contre, il n’est pas que créole, ouvert aux souffles du monde dès lors qu’ils servent son expression."
( à suivre )
Ernest Pépin