samedi 25 juillet 2009

vodou haitien, premiere partie

SUR LES TRACES DES MYSTÈRES VODOUS EN HAÏTI (1)

Voici quelques uns des enseignements que j’ai pu recueillir auprès de deux grands maîtres du vodou, que je partage aujourd’hui avec les lecteurs de Chien Créole, depuis Haiti. Je suis actuellement à Jacmel. Il s’agit de prendre conscience que le vodou est un élément incontournable de la culture caribéenne et sans doute l’un de ses phénomènes culturels les plus intéressants, intimement lié à l’histoire tourmentée d’Haïti. Vous pouvez aussi decouvrir une petite selection de photos sur le periple que je suis en train d’effectuer sur http://picasaweb.google.com/chien.creole/ALaDecouverteDHaitiSacAuDos1#


1. La rencontre de l’Afrique et des Taïnos

Le vodou haïtien est un syncrétisme, c’est à dire que c’est le fruit de la fusion entre plusieurs influences religieuses. Parmi celles-ci, on trouve le catholicisme puisque les vodouisants croient au dieu chrétien et que chaque loa, esprit du vodou, a son correspondant dans un saint catholique. Ainsi l’autre représentation d’Ogou Ferray est celle de St Jacques le majeur. Le houngan Winthrop Attié(1) dit que «contrairement au vodou africain qui est très structuré, le vodou haïtien est comme une grande table où chacun a sa place. Tu es le bienvenu que tu t’appelles Jésus, Mahomet ou Bouddha.» Cette tolérance des cultes polythéistes ou semi-animistes, comme c’est le cas ici, fonde une grande différence avec les monothéismes qui prétendent détenir une vérité unique et auront tendance à vouloir l’imposer aux autres, quitte à faire des millions de morts, comme ce fut le cas du christianisme en Amérique par exemple.

Pour Samba’el(2), houngan à Port-au-Prince, «la naissance du vodou, c’est la rencontre de l’Afrique et des Taïnos », le peuple amérindien qui peuplait Kiskeya, l’île que les Espagnols allaient rebaptiser Hispaniola et que l’histoire allait diviser en deux nations : la République Dominicaine et Haïti.

Samba'el a dans les mains un talisman, collier compose de perles dont les couleurs evoquent les differents loas, et quelques os de serpents (photo FG)

En effet, les nègres marrons enfuis des plantations se sont alliés aux Taïnos pour survivre dans un milieu hostile. «Le fait d’adorer les sources, les forêts ou la Lune, la présence des poteries rorozen, sont quelques uns des éléments que nous avons hérités des premiers habitants de l’île, aujourd’hui disparus.»

Winthrop, lui aussi, nomme plusieurs loas qui seraient d’origine taïnos, comme Mèt Kalfou, Mèt Granbwa ou encore Agoussou, l’esprit de l’eau qui navigue sur les mers. Selon lui, même les vévés, ces symboles dessinés à même le sol, avec par exemple de la farine, pour invoquer les loas, seraient d’origine amérindienne. Il poursuit : «Les Taïnos savaient qu’ils allaient disparaître. Ils ont livré les secrets de cette terre avant de partir. Leur plus grand legs, ça a été la connaissance de Cousin Zaka, le montagnard, loa ministre de l’agriculture et du commerce dans le vodou. C’est lui qui a montré aux marrons comment vivre en Haïti, qui leur a enseigné les plantes médicinales et leurs vertus, les secrets de cette terre.


2. Des pèlerins du temps

J’interroge Winthrop sur ce paradoxe que je n’arrive pas à m’expliquer : comment un peuple qui voue une telle vénération a la nature, a-t’il pu massacrer sa forêt, au point qu’aujourd’hui, la couverture boisée d’Haïti a quasiment disparu ? Lui qui consacre une bonne partie de son existence à la préservation de la forêt attenante à son auberge, me fait cette réponse : «J’ai interrogé le loa Ibo Lélé, qui est la reine des forêts, elle m’a dit la chose suivante : ‘’ça m’est égal si vous voulez couper tous mes arbres, allez-y ! Quand il n’y aura plus d’arbre, vous mourrez tous et alors les arbres repousseront et je reprendrai mes droits.’’

La foret pres de l'auberge de Winthrop (photo FG)

Tu comprends, m’explique Winthrop, les loas sont les citoyens permanents de cette planète ; nous autres, nous ne sommes que des pèlerins du temps. Ils sont travaillés par les mêmes sentiments que nous, la tentation, la jalousie, mais eux ne connaissent pas les contraintes de l’espace (un loa peut te dire ce qui se passe en Chine en ce moment) ni du temps.» En cela, ils ne sont pas différents des anciens dieux grecs.

Pour en revenir à la dévastation des forêts, il m’explique aussi : «tu sais, au fond de nous et ce depuis l’arrivée dans les cales des bateaux négriers, il y a la haine de cette terre à laquelle nous avons été trainés de force. C’est pour la faire fructifier qu’on nous a arrachés à l’Afrique et il y a toujours une résistance sourde, une volonté inconsciente de s’opposer à ce que quoique ce soit pousse ici. Cette conduite est aujourd’hui suicidaire, mais l’Haïtien est suicidaire. La mort au temps de l’esclavage était la seule délivrance, la libération qui permettait à l’esprit de regagner l’Afrique. Il faut changer cet état d’esprit qui n’a que trop duré. »


3. Mariage mystique

Winthrop Attié a fait construire à côté de son auberge un hounfor, temple vodou, consacré dans le cas présent au loa féminin Erzulie. «Je me suis marié avec elle.» Il veut bien sûr parler de mariage mystique. Cette union entraîne toutefois des obligations bien physiques : «Je lui consacre le mardi et le jeudi, certains vont même jusqu'à lui consacrer le samedi. Ces jours-là, je ne dois toucher aucune autre femme.»

Le houngan Winthrop Attie devant un tableau representant Ibo Lele, reine de la foret (photo FG)

Il m’explique aussi que les mariages mystiques vont souvent de pair avec les mariages religieux vodous entre un homme et une femme en chair et en os. La femme s’unit au cours d’une cérémonie à trois loas : Dambala, Ogou et Cousin Zaka. L’homme, lui, épouse Erzulie Freda, l’esprit de l’amour dans le rite Rada qui vient du Dahomay et Erzulie d’Anthor, la vierge noire du rite Petro. Comme ces loas sont unis entre eux, ceux qui unissent leur destin avec eux pour la vie au cours d’une même cérémonie sont ainsi mariés, par loa interposé si je puis dire.


4. Le panthéon africain

Le hounfor de Winthrop est divisé en deux, à l’image de ces deux Erzulie. Chaque côté est consacré à une de ses deux personnalités. «Dans la religion catholique, Dieu, avec la trinité, prend trois formes différentes ; de la même façon, un loa peut prendre différentes formes. Par exemple, m’explique Winthrop, Ogou se decline en trois formes : l’une qui marche avec l’eau, Ogou Balindjo, une autre avec la terre, Ogou Badagri et Ogou Ferray qui marche avec le feu. Il y a aussi Dambala Wedo, qui fonctionne avec l’eau alors que Dambala Flambo va lui avec le feu, comme son nom l’indique. Ils appartiennent successivement aux rites rada et petro», m’apprend Winthrop.

A la question de savoir à quoi correspondent ces différents rites, je réalise qu’Elien Isac, ne fait pas de distinction entre rite et rythme. Ce lapsus est toutefois fort révélateur puisque chaque rite a son rythme propre, interprété au tambour. «Dans le vodou haïtien, il y a 401 loas divisés en 21 rites qui correspondent essentiellement à des ethnies africaines. Par exemple, le rite rada, l’un des plus importants, correspond aux Aradas qui viennent du Dahomay. Parmi les principaux rites, on compte aussi le rite nago qui vient des Yorubas du Nigeria. La plupart des prières et des chants adressés à ces loas des panthéons africains se font dans la langue d’origine, yoruba, kikongo ou autre.


5. Guédés et petro

Il y a deux rites qui échappent à cette logique. Le premier est le rite des guédés, ces loas qui symbolisent les morts. Les vodouisants qui sont possédés par ces esprits, parlent du nez et sont également reconnaissables aux gestes obscènes qu’ils font, avec un bâton qui symbolise leur sexe. Pour Elien Isac, ce rite trouve son origine dans le culte égyptien d’Isis et Osiris. En cela, il rejoint les conclusions de Cheikh Anta Diop, historien et anthropologue sénégalais, dont les recherches tendent à démontrer que la civilisation pharaonique égyptienne serait d’origine négro-africaine.

L’autre rite qui contraste avec les rites ethniques est le rite petro. Quoique d’inspiration kongo, ce rite est né en Haïti, en 1791, à la cérémonie de Bois Caïman, qui a marqué le début de la guerre d’indépendance. C’est un rite qui contraste avec les autres par sa dureté, sa violence, voire sa cruauté parce qu’il est né en réponse à l’ extrême violence de l’esclavagisme qui était d’une rare bestialité. Winthorp utilise une métaphore : «c’est un peu comme si un incendie se déclare dans une galerie de mine. Pour l’éteindre, on va avoir recours à une violente explosion dont le souffle éteindra le feu. C’est ça le petro.»

Marie-Jeanne, la mambo, prêtresse vodou, initiee par Samba’el, me raconte que quand celui-ci est chevauché (possédé) par Ogou yeux rouges, il est capable de manger des aiguilles, des lames de rasoirs, de se baigner dans le feu, de se transpercer la joue. «c’est pas beau à voir !», ajoute-t’elle d’un air entendu. Néanmoins, il ne lui en reste aucune trace une fois la cérémonie finie.

La mambo (pretresse vodou) Marie-Jeanne tient une representation du veve d'Erzulie Freda (photo FG)

On retrouve le même type de témoignage chez le chercheur africain Masengo Ma Mbongolo, auteur d’un ouvrage sur le vodou : «Alors qu’Erzulie Freda, la déesse de l’amour rada (du Dahomey) s’intéresse à l’amour, à la beauté, aux fleurs, aux bijoux… Qu’elle aime danser et être vêtue de belles étoffes, l’Erzulie Yeux Rouges du rite petro est terrifiante d’intensité. Lorsqu’elle possède un individu, tous ses muscles sont contractés, ses genoux étirés, ses poings serrés.»

a suivre...

FRederic Gircour (trikess2002@yahoo.fr)

(1)Winthrop Attié, dit Winnie, est un houngan, prêtre vodou, qui vit sur la commune de Seguin, entre Port-au-Prince et Jacmel. Je l’ai rencontré par hasard, à moins que les loas ne l’aient placé sur mon chemin, car il tient une belle auberge, à l’orée d’une belle pinède. Il consacre d’ailleurs énormément d’énergie à la protection de cette forêt.

(2) Samba’el, ce qui signifie celui qui cherche les racines, de son vrai nom Elien Isac, est houngan depuis quatre générations. Il anime avec Marie-Jeanne, sa femme, une émission quotidienne sur une importante radio de Port-au-Prince, consacrée au vodou. Il a aussi créé un centre culturel et de formation destiné à la diffusion de la culture vodou.