samedi 28 février 2009

Chronique judiciaire ( 1 )


LES PRESUMÉS-RESPONSABLES DE LA MORT DE JACQUES BINO ARRÊTÉS


Sitôt prévenu que cinq présumés-responsables de la mort de Jacques Bino venaient d’être amenés au tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, j’ai sauté dans ma punto et vingt grosses minutes plus tard, je suis arrivé sur la petite place du marché au fleur qui fait face au tribunal. Une soixantaine de personnes s’étaient déjà rassemblée tandis qu’un cordon composé d’une vingtaine de gendarmes gardait l’entrée de l’annexe du tribunal.


(Photo FG)


1° Un avocat au bout de 24 heures

Maître Démocrite qui assure la défense d’un des prévenus est en train de dénoncer le fait qu’on l’empêche de faire son travail. Interviewé par Chien Créole, l’avocat s’insurge :

« Je n’ai pu voir mon client qu’au bout de 24 heures de garde-à-vue ! »

Celle-ci a finalement duré quarante-huit heures. Comme me l’explique maître Durimel, code civil à l’appui, la loi dit que le prévenu a droit à voir un avocat dès la première heure, et qu’on doit lui lire ses droits pour l’informer de cette possibilité. Ruddy Alexis a-t’il demandé à voir son avocat dans les premières 24 heures ? Il faudra le déterminer, car si tel était le cas, ça constituerait effectivement une violation des droits de la défense. Pour l’instant, Chien Créole n’est pas en mesure de l’affirmer.


2° « Ca ne sert à rien d’aboyer »

Maître Démocrite poursuit en expliquant qu’il n’a pas été prévenu officiellement du fait que son client avait été amené au tribunal mais que lorsqu’il s’est présenté, quelques dizaines de minute plus tôt, on lui a refusé l’accès du Palais de Justice. Qui plus est, le commissaire avec qui il parlait, lui a dit que ça ne servait à rien d’aboyer.


Maître Démocrite à droite, le commissaire à gauche (photo FG)


Aux Antilles, être traité de chien est une des pires insultes qui existe. Le commissaire qui a eu ce mot malheureux n’est pas Antillais et on peut imaginer qu’il ne s’est pas rendu compte de l’offense qu’il proférait. Oserons-nous suggérer que, dans le cadre de la formation continue qui doit exister dans la police, on impose aux fonctionnaires venant de l’extérieur, un stage sur les spécificités culturelles de l’endroit où ils sont amenés à travailler ? Ca permettra peut-être qu’aux Antilles, ils bannissent de leur langage des termes comme « aboyer » ou « sale négro » (entendu lors du passage à tabac d’Alex Lollia), car pour banals et courants qu’ils puissent être dans les commissariats, ces termes sont très peu appréciés par la population locale, allez savoir pourquoi… Maître Démocrite est finalement autorisé à rentrer et à s’entretenir avec son client.


3° Le coupable idéal

Jean-Michel Prêtre, procureur de la République, a annoncé vers 12h30 qu’il allait donner une conférence de presse à 15h00, dans son bureau du Palais de Justice. A l’heure dite, tous les journalistes présentent leur carte de presse. Je suis le seul à ne pas en avoir mais sitôt que je prononce le nom de Chien Créole, le procureur en personne m’autorise à rentrer, d’un air entendu. Dois-je me réjouir ou m’inquiéter du fait qu’il semble connaître mon site ?! Dans son bureau devenu trop étroit, il dit en préalable que l’enquête a été professionnelle, systématique, qu’elle n’a écarté aucune piste. Il indique ensuite que 5 personnes à qui on reproche d’être impliquées dans le meurtre de Jacques Bino.ont été déférées au parquet, sur la base d’éléments multiples, sérieux et concordants, Celui contre qui pèsent les charges les plus graves s’appelle Ruddy Alexis, âgé de 34 ans. Il habite à la fois sur Petit-bourg et sur Pointe-à-Pitre. Il a passé une partie de sa jeunesse dans la cité Henri IV. Il est accusé de meurtre sans préméditation sur la personne de Jacques Bino, et de tentative de meurtre sur la personne du passager qui était dans la voiture avec le syndicaliste au moment du drame. Ruddy Alexis est, toujours selon le procureur, défavorablement connu des services de justice, puisqu’il a été condamné trois fois dans la seconde moitié des années 90 pour des faits de violence armée. Il n’a actuellement pas de travail régulier.


Jean-Michel Prêtre lors de la conférence de presse (FG)


Je serais tenté de dire qu’il fait un coupable idéal mais après avoir dit que le jeune Patrice précédemment accusé à tort puis relâché n’avait vraiment pas le profil d’un tueur, on pourrait m’accuser de ne pas être cohérent.


4° Quatre complices présumés

Quatre autres personnes sont accusées de choses aussi variées qu’association de malfaiteurs ou obstacle à la circulation publique. Tous sont majeurs, nés entre 1970 et 1976. Il s’agit de Patrice H., de Patrice F., d’Henry P. et de Didier Z. Ils encourent pour tout ce qui leur est reproché une peine pouvant aller jusqu’à 17 ans.


5° Deux balles brenneck

Etant donnée la gravité des faits, l’affaire va être instruite par deux magistrats. Les cinq vont être présentés cette après-midi, devant un juge des libertés pour savoir s’ils pourront bénéficier d’une liberté provisoire en restant sous contrôle judiciaire. A la question de savoir quelles preuves ont permis la mise-en-examen de Ruddy Alexis, Jean-Michel Prêtre indique qu’elles sont de deux ordres : d’une part des témoignages très précis, multiples et concordants avec des détails « qui ne s’inventent pas », de l’autre, les éléments apportés par la police technique. On a par exemple, au domicile du suspect, mis la main sur deux balles brenneck, du même type donc que celle qui a tué Jacques Bino. L’arme du crime, elle, n’a toujours pas été retrouvée.


6° Le mobile du meurtre

Le procureur confirme ce qu’affirmait un témoignage publié au lendemain du drame dans Chien Créole, comme quoi une fusillade était bien engagée entre des jeunes armés et les policiers de la BAC, dans le quartier Henri IV, avant que Jacques Bino n’y pénètre. Sur le mobile du meurtre, il estime qu’il est plus que probable que le tireur ait confondu le véhicule du syndicaliste avec une voiture de la BAC qui avait circulé peu de temps avant dans la cité. Yvelise Boisset, journaliste pour Canal 10, demande si c’étaient des voitures de même marque. « Non, Jacques Bino conduisait une petite Fiat alors que la voiture de la BAC était une Peugeot. Mais il n’y avait pas d’éclairage public. Les seules sources de lumières étaient les phares et le barrage en feu. Ils ont donc parfaitement pu confondre les deux véhicules. » Singulière déclaration. On peut en effet se demander comment des témoignages très précis ont pu permettre d’identifier Ruddy Alexis, alors que de l’avis même du procureur, on n’y voyait pas grand-chose…


7° Histoire de munitions

Jean-Michel Prêtre ajoute qu’au-delà des balles brenneck retrouvées au domicile de Ruddy et de la balle ayant causé la mort de Bino, une douille de brenneck a été retrouvée à trois ou quatre mètres du barrage ainsi que d’autres douilles boulevard Légitimus où la police a essuyé des coups de feu ce jour-là vers 23h45. Interrogé par Chien Créole sur les armes utilisées par les policiers de la BAC, M. Prêtre reconnaît que sur les trois hommes qui composent une équipe, un dispose d’un fusil à pompe mais que selon lui ils n’utilisent pas ce type de munition. Un journaliste demande si l’arme et les munitions peuvent provenir de l’armurerie qui a été braquée. Le procureur affirme ne pas être au courant de ce braquage et prétend ne pas savoir d’où proviennent balles et munitions. « Ca va faire l’objet d’une enquête entreprise sur commission rogatoire ». J’interviens pour préciser qu’au cours de mes propres recherches, j’ai découvert que les balles brennecks de calibre 12 étaient interdites à la vente en Guadeloupe par arrêté préfectoral depuis 2004. Les munitions ne peuvent donc provenir d’une armurerie, pillée ou non.


8° Des pressions

A la sortie, je retrouve maître Démocrite qui est en train de faire le point sur l’entrevue qu’il vient d’avoir avec son client : Ruddy Alexis. Ce dernier s’est rendu spontanément en apprenant qu’il était recherché. Pendant les 48 heures de la garde à vue, il n’a jamais reconnu les faits qui lui sont reprochés. L’avocat dénonce en revanche des pressions que son client aurait subi : on aurait menacé de jeter sa femme, qui a été placée en garde-à-vue, puis relâchée, en prison et de placer son enfant à la DDASS.


Maître Démocrite au micro D'Yvelise Boisset (photo FG)


Maître Démocrite dénonce par ailleurs un climat malsain où son client a déjà été désigné comme coupable. Il rappelle le cas du jeune Patrice, lui aussi désigné par trois témoignages concordants, et qui aurait pu être à la place de son client s'il n'avait eu la bonne idée d'être sur messenger à l'heure du coup de feu. Il invite donc à la plus grande prudence tout en rappelant le principe de la présomption d'innocence.


9° « Il était avec moi »

Alors que je fais le résumé de la conférence de presse à quelques camarades à l’extérieur du tribunal, une jeune femme les larmes aux yeux, visiblement désemparée, avec deux petits enfants s’approche pour avoir des nouvelles. Elle vient d’apprendre que son compagnon a été déféré ici par la radio et est venue à pied depuis la cité Henri IV. Il fait parti des présumés complices. Marie, c’est ainsi qu’elle se prénomme, nous dit ne pas comprendre comment on peut arrêter quelqu’un comme ça. L’arrestation selon elle s’est faite en douceur (le scandale autour de la brutale arrestation du jeune Patrice dénoncée par Chien Créole a apparemment servi de leçon aux forces de l’ordre et les a incité à plus de respect, nous ne pouvons que les en féliciter). « Les policiers m’ont dit qu’ils voulaient l’entendre sur le meurtre de Jacques Bino mais qu’il serait libre dans deux jours, de ne pas m’inquiéter. Ils ont fouillé partout dans l’appartement, ils n’ont rien trouvé, rien du tout, ils sont repartis les mains vides. Il était avec moi quand ça s’est passé, je vous le jure, il était avec moi ! C’est pas possible ! » Elle fond en larme et les femmes présentes la réconforte comme elles peuvent, l’invitent à se montrer forte pour ses enfants qui la regardent sans comprendre. Elle essuie ses larmes maladroitement et nous raconte, la voix étranglée par l’émotion. « Ce soir là j’ai fait du colombo, on est allé au meeting du LKP et on est rentré vers 21h00. On a regardé un film sur l’ordinateur et puis on s’est couché. Mais il y avait trop de bruits dehors, on n’arrivait pas à dormir. Et puis quelqu’un a crié : « quelqu’un a été tué ! » alors on est sorti sur le pallier pour voir ce qui se passait. »


10° Si Marie ment…

Je l’interroge : « quelqu’un vous a vu sortir ensemble ?

- Mais oui, tous les voisins étaient devant leur porte à regarder la voiture de Jacques Bino. On habite au quatrième étage et on voyait la voiture de là. »

Maître Durimel se rapproche d’elle et après une discussion, s’engage à essayer de le voir. Ce serait vraiment bien, lui qui est engagé avec le LKP, qu’il accepte de défendre le compagnon de cette femme. Elle me rajoute encore qu’il travaille dans un grand hôtel de la Pointe de la Verdure à Gosier et qu’à part faire du sport dans un club, il n’aime pas traîner dehors. Bien sûr, toutes ces informations méritent d’être vérifiées. Je ne sais pas si Marie ment, mais si c’était le cas je lui promets un très bel avenir au cinéma ou au théâtre car son témoignage avait vraiment tous les accents de la sincérité la plus bouleversante.



Espérons que la justice ne bâclera pas cette affaire car encore une fois, on a la désagréable sensation que la volonté de trouver un ou des coupables à tout prix dans les plus brefs délais, risque d’envoyer des innocents derrière les barreaux. Nous serons vigilants.


FRédéric Gircour (trikess2002@yahoo.fr)