vendredi 6 février 2009

analyse (2)


NOUVELLES DU FRONT DE GUADELOUPE
17ème JOUR DE GREVE GENERALE : AU BORD DE LA RUPTURE

1° Un répit de courte durée

Dans un précédent billet, je craignais que l'accord entre l'Etat et les gérants de station ne porte un coup au mouvement de grève générale qui paralyse la Guadeloupe depuis le 20 janvier. De fait, la presse nationale s'est empressée d'annoncer un retour à la normale sur l'archipel. On a vu beaucoup de gens se précipiter faire le plein, et bon nombre de magasins réouvrir. Le répit aura été de courte durée même s'il a fait du bien à tout le monde. Le lendemain, l'immense majorité des stations étaient bloquées à nouveau, cette fois par les employés.


2° Carte maîtresse

Autre carte maîtresse abattue par le collectif, l'entrée dans le mouvement des dockers. Tout le monde a en mémoire leur longue grève de 2004 où à eux seuls, ils étaient parvenus à vider les rayons des grandes surfaces, exemple qui m'avait été fort utile à l'époque pour expliquer à mes élèves les effets de l'embargo contre Cuba. Après une journée de grève hier en guise de coup de semonce, les dockers ont repris le travail aujourd'hui mais en décidant de débrayer deux fois par jour. En fonction de l'évolution des négociations, ils ont prévenu qu'ils durciraient ou non leur action. Même le lecteur le moins averti comprendra l'importance que peut revêtir cette catégorie professionnelle sur une île presque exclusivement ravitaillée par bateaux !


3° L'essence, toujours le nerf de la guerre

Ce matin, toutes les stations service de Guadeloupe étaient bloquées. Qui plus est, les syndicalistes CGTG de la SARA (Société Anonyme de Raffinerie de la Guadeloupe) ont rejoint le mouvement et un piquet de grève condamne la porte d'entrée de l'unique dépôt, puisque cette société dont Total est l'actionnaire majoritaire, a le monopole de l'approvisionnement sur la Guadeloupe. Entre temps, les coupures d'électricité se multiplient, affectant beaucoup les magasins qui ont choisi de réouvrir mais gênant aussi les particuliers.



4° Donner d'une main pour reprendre de l'autre


En bon stratège, le collectif LKP a augmenté logiquement la pression afin de négocier en position de force avec le secrétaire d'Etat. Contre toute attente celui-ci a abandonné son attitude arrogante et tous travaillent à trouver des solutions. Seuls les patrons semblent ne pas avoir pris la mesure de l'ampleur de ce mouvement. Ils sont certes prêts à augmenter les salaires et à baisser les prix mais uniquement sur la base de la suppression des diverses charges patronales que l'Etat pourrait leur consentir. Or si Yves Jégo avait fait des effets d'annonce dans ce sens, il semblerait que Bercy, le ministère des finances, l'ait rappelé à plus de retenue. C'est heureux. Faire encore des cadeaux fiscaux aux plus riches avec l'argent public, le nôtre, et ne pas exiger que ceux qui profitent le plus de la situation actuelle ne mettent la main à la poche, ce sont des pratiques dont on ne veut plus. C'est donner d'une main pour reprendre de l'autre. On me rétorque que les petites et moyennes entreprises ne pourront pas accuser le coup d'une augmentation de 200 euros nets par employés, que l'hôtellerie est en crise.



5° Répartition des richesses


Face à des inégalités aussi criantes que celle qu'on vit aux Antilles, une meilleure répartition des richesses est une nécessité impérieuse si on veut éviter une implosion de la société guadeloupéenne, beaucoup plus violente et désespérée que ce qu'on vit aujourd'hui. Les citoyens qui ne gagnent pas assez ne sont pas assujettis aux impôts. On peut imaginer un système similaire pour les patrons : que les petites entreprises et celles qui sont en difficulté n'aient pas à faire l'effort si il est au-dessus de leurs moyens et que les plus puissants contribuent à leur place sur un principe républicain de pur bon sens. On peut envisager toutes sortes de solutions mais on ne peut certainement pas se satisfaire d'un patronat qui entend profiter de la présence du secrétaire d'état pour pleurnicher et demander des aides spécifiques sans assumer sa part de responsabilité.




6° Clash imminent


Ce soir, nous sommes à un point de rupture. Un longue interruption de séance a été obtenue mais les acteurs du collectif que j'ai consulté en début de soirée sont inquiets. Il semble qu'on ne puisse pas arriver à un accord dans ces conditions. Au 17ème jour de grève générale, personne ne veut faire marche arrière. Sauf retournement de situation, nous sommes donc en train de nous engager dans une logique d'escalade inquiétante dont nous ferons tous les frais et dont on ne peut présager de l'issue. La réaction des grévistes demain risque d'être à la hauteur des espoirs déçus s'il se confirme que les négociations sont interrompues. Quel sera alors le rôle de l'état? Tentera-t'il d'apaiser la situation en débloquant les fonds qui ne lui correspondent pas? A-t'il les moyens et la volonté de faire pression sur le patronat pour qu'il assume sa part ou prendra-t'il fait et cause pour lui en déchaînant la répression policière contre un mouvement qui s'éternise trop à son goût. L'histoire des rapports entre état et patronat, et en particulier en ce qui concerne ce gouvernement, me font pencher pour la troisième option. Cependant ce serait un pari très risqué car l'action du collectif est extrêmement populaire. Le réprimer pourrait conduire à un embrasement généralisé de la Guadeloupe.



7° On brade ?


A moins qu'un référendum immédiat sur l'évolution statutaire vers l'autonomie ne soit proposé comme porte de sortie convenable pour toutes les parties en présence à la table des négociations. La question qui se posera alors concernera la population : comment réagirait-elle ? Acceptera-t'elle d'aller là où on la conduit, sur le coup de l'émotion? Rien n'est moins sûr et je doute fort qu'elle renonce aussi facilement à la question des 200 euros. Encore une fois, tout le monde s'accorde pour dire que l'évolution statutaire est inéluctable mais faut-il brusquer les choses? Peut-être. Peut-être est-ce une opportunité historique, après tout ? Et si le prix d'unn référendum par ces temps de crise c'était 200 euros?


FRédéric Gircour