Pendant que nous parlons, on est interrompu régulièrement par des appels sur son portable, ou par un de ses lieutenants qui vient lui annoncer que l'industrie de la canne, sucrière et rhumière, vient de signer l'accord Jacques Bino. Il avait prévenu, quelques jours auparavant, en meeting et à 10 pas d'ici : "si Gardel (le principal sucrier de l'archipel) ne signe pas, il n'y aura pas de récolte). Je pousse un ouf de soulagement, nous n'allons pas être privés de ti punch cette année !
Chien Créole : Elie, peux-tu revenir sur la façon dont le LKP s’est formé ?
Elie Domota : La réussite du LKP ne tombe pas du ciel. Ça fait 6 ans que les organisations syndicales travaillent ensemble à l’élaboration d’une plateforme de défense de la classe ouvrière. Depuis plus longtemps encore, nous avons l’habitude de nous réunir pour préparer les modalités des défilés unitaires du 1er mai (tract, parcours, etc.). Donc, on se connaît bien. En parallèle, chaque organisation travaillait avec d’autres sur des projets ponctuels. Moi par exemple, je suis secrétaire général de l’UGTG, on a beaucoup travaillé avec mouvman Nonm, le comité des mutuelles, l’association culturelle Akyio, etc., sur différents thèmes comme 1801, 1802, 1967. Beaucoup de groupes fonctionnaient comme nous.
CC : Qu’est-ce qui a été l’élément déclencheur, si on devait n’en citer qu’un, qui fait que le LKP a finalement pris corps ?
Elie Domota : Les six années passées, on n’arrivait pas à se mettre d’accord et puis début décembre 2008, on s’est à nouveau réuni. La situation était tellement catastrophique pour les travailleurs, que cette fois ça a collé, ça s’est imposé par nécessité. La force du LKP, c’est que nous sommes un conglomérat de visions différentes qui réunies, permettent une approche globale des problèmes de notre société. La lutte des travailleurs se nourrit de la lutte des travailleurs. L’important c’est qu’au-delà des dirigeants des différentes organisations, l’union se fasse à la base et dans l’action. C’est aux travailleurs de se rassembler.
CC : Selon toi, comment ce mouvement a-t’il pu tenir aussi longtemps ?
Elie Domota : Si nous avons tenu 44 jours de grève générale, c’est déjà parce que le Guadeloupéen est de nature résistante. Quand il rentre dans un combat, c’est pour le gagner, et ensuite, il est assez orgueilleux pour ne pas s’arrêter en chemin. La solidarité a joué à fond, les parents, les amis, tout le monde s’est entraidé. Les agriculteurs nous ont donné pas mal de denrées. Il y a même un restaurateur qui vient de nous donner un bœuf sur pied ! D’ailleurs, il faut qu’on lui trouve un endroit pour paître… On a tenu parce qu’on est un mouvement populaire.
tag dans les rues de Pointe-à-Pitre (photo FG)
CC : Penses-tu qu’une union de cette ampleur soit possible dans l’hexagone ?
Elie Domota : Bien sûr, le tout s’est de commencer. Nous même on n’a jamais cru que ça se passerait comme ça, ni que nous tiendrions aussi longtemps ! C’est là où on s’est dit que toutes ces rencontres faites depuis 6 ans, toutes ces réunions ont porté leur fruit, car c’est sur la base de toutes ces discussions que petit à petit s’est dessiné ce qui allait devenir la plateforme de revendications du LKP. Les patrons et l’Etat s’entendent au sommet et s’organisent. Les ouvriers ne peuvent pas se permettre de les affronter en ordre dispersé.
CC : Comment analyses-tu l’état des forces sociales dans l’hexagone ?
Elie Domota : Je ne pense pas qu’elles soient en recul. Je pense juste qu’il faut faire preuve d’audace. Les travailleurs y croient mais les dirigeants des différentes organisations font trop de calculs. Il faut que la tête se mette un peu en retrait et laisse les travailleurs prendre les choses en main. Aujourd’hui on voit bien que la logique veut qu’il y ait toujours plus d’argent pour les riches alors que les travailleurs n’ont droit qu’aux licenciements. Ils n’ont plus d’autre choix que de rentrer en lutte.
CC : Quelle lecture donnes-tu à ce qui vient de se passer ? Est-ce le début de la construction d’un nouveau modèle de société ?
Elie Domota : Je crois qu’on n’en est pas encore là. Disons qu’il y a une aspiration à quelque chose d’autre, qui se cherche. Maintenant, il reste à la concrétiser en une vision, avec un projet, des écrits, des analyses. Chacun doit participer et ce sera aux Guadeloupéens de décider le chemin qu’ils veulent suivre.
CC : Les détracteurs du LKP disent qu’il avance masqué et qu’en réalité son unique et réel objectif est l’indépendance de la Guadeloupe.
Elie Domota : Je suis secrétaire général de l’UGTG, un syndicat qui se définit comme indépendantiste depuis le premier jour, mais le LKP rassemble 49 organisations, partis, syndicats, associations qui ont des visions très différentes. Donc on n’en est pas là. Parce que je vais te dire, si sur la seule base de la plateforme du LKP, on doit demander l’indépendance, même moi j’y vais pas ! (il rit)
CC: Après ça, est-ce que tu comptes fonder un parti ?
Elie Domota : Non, je n'ai pas d'ambition politique.
Alors qu'il est au téléphone, Gladys Démocrite rédactrice-en-chef du Mika déchaîné, journal satirique guadeloupéen, lui remet l'édition qui va paraître en kiosque le lendemain et qui titre : "Domota président ?" (photo FG)
CC : Un autre point d’incompréhension voire de rupture, par rapport à la plate-forme, a été pour certaines personnes la question de la priorité à l’embauche pour les Guadeloupéens. C’est vrai que, comme j’ai déjà pu l’écrire sur Chien Créole, la revendication ne spécifie pas si c’est à compétences égales ou non, et laisse planer une certaine ambiguïté. Alors, à compétence égale ou non ?
Elie Domota : Mais c’est une évidence. On ne va pas demander à un boucher de travailler comme chirurgien juste sous prétexte qu’il serait Guadeloupéen ! Ce qu’on ne comprend pas, par exemple, c’est que les agences de recrutements basées à Jarry fassent paraître les annonces d’embauche des cadres directement à Paris, alors qu’ici on a des gens compétents mais au chômage. Voilà ce qu’on dénonce, mais bien sûr, on parle de priorité d’embauche pour les Guadeloupéens à compétence égale.
CC : Nicolas Sarkozy a promis des états généraux en Guadeloupe, trouves-tu que ce soit quelque chose de positif ?
Elie Domota : D’abord je te dirai que les états généraux de la Guadeloupe, on les a déjà commencés par notre action et notre réflexion. Et puis on reste prudent. On a déjà entendu tellement de belles promesses de la part de l’état. D’ailleurs, vu le délai très court avant que ça commence, je me demande bien comment ça va pouvoir s’organiser et avec quelle pertinence…
CC : Comment prends-tu le fait que le parquet de Pointe-à-Pitre te mette dos-à-dos avec Alain Huygues-Despointes, le béké de Martinique qui a parlé de pureté de la race. Vous faites tous deux l’objet de plainte pour incitation à la haine raciale, lui pour faire l’apologie d’un système raciste et discriminatoire, toi pour le condamner !
Elie Domota : Je pense précisément que ça vise à blanchir Huygues-Despointe, si je puis dire ! C’est une façon de relativiser l’accusation qui pèse sur lui. Mes propos n’ont fait que refléter une réalité sociale et historique. Donc je suis serein.
CC : Entre nous, c’est même un beau cadeau que te fait le parquet, il t’offre une tribune formidable !
Elie Domota : (il sourit) Oui, c’est vrai. Un avocat me disait hier qu’il n’y a pas de grand mouvement social sans grand procès. Ça va être l’occasion de faire le point sur pas mal de choses. Je demande d’ailleurs à ce que ce procès soit télévisé. Beaucoup d’avocats m’ont déjà contacté. Cette après-midi, même Ségolène Royal m’a appelé pour me proposer de faire partie du collectif d’avocats qui va me défendre. Je ne savais même pas qu’elle était avocate !
CC : Comment prends-tu les diverses attaques, parfois très virulentes qui te sont adressées sur ce sujet ou sur d’autres ?
Elie Domota : J’ai annoncé hier que je comptais porter plainte pour diffamation. En Guadeloupe, on est tellement habitué à être méprisé qu’on encaisse sans broncher, on finit par trouver ça normal. Mais je me suis dit, quand même, quand Frédéric Lefebvre se permet de me traiter de tonton macoute, que des journalistes me traitent de terroriste, ce n’est pas normal ! Au figaro, y a un gars, c’est pas possible, je pense qu’un Guadeloupéen a du lui piquer sa copine parce qu’il a une telle haine chaque fois qu’il écrit sur nous ! Je ne vois pas d’autre explication !
Entrevue réalisée par Frédéric Gircour pour le NPA et Chien Créole