samedi 4 juillet 2009

Analyse critique du discours de N. Sarkozy le 26 juin en Guadeloupe


1ère partie : NICOLAS SARKOZY SE POSITIONNE



1° Justifications


a) Son intérêt pour la Guadeloupe

Nicolas Sarkozy n’a pas assez de mots pour dire son attachement pour « cette terre de Guadeloupe avec laquelle [il a] tissé au fil du temps un lien particulier ». C’est ainsi qu’il inaugure son discours : « Durant ces dernières années, je suis venu à plusieurs reprises à votre rencontre : comme Ministre de l’Intérieur, comme candidat à l’élection présidentielle et, aujourd’hui, comme Chef de l’Etat.

On peut, sans doute, me trouver beaucoup de défauts, mais on ne peut pas me reprocher l’inconstance. Mon attachement à la Guadeloupe et aux Guadeloupéens a toujours été fort, viscéral, comme l’est votre attachement à l’égard de notre République. Vous m’avez toujours accueilli avec chaleur et amitié (…) »


Tag de bienvenue à Baie-Mahault (photo FG)

Si Nicolas Sarkozy n’a pas le défaut de l’inconstance, on ne peut pas non plus lui reprocher d’être rancunier ! Il a déjà oublié qu’en 2005, il était persona non grata en Guadeloupe et que, devant l’hostilité affichée des Antillais, il avait du annuler son voyage officiel, prévu en décembre de cette année-là. Sa "loi du 23 février 2005", dont l’article IV prétendait faire état dans les manuels scolaires du rôle positif de la colonisation française, avait ici soulevé l’indignation générale.


Ni inconstant, ni rancunier, Nicolas n’est pas pingre non plus : la preuve, à l’occasion de sa visite éclair de 7 heures sur le sol antillais, il a invité un bon millier de gendarmes mobiles en renfort de ceux déjà présents, afin qu’eux aussi profitent de cette chaleur et de cette amitié que lui ont toujours réservé les Guadeloupéens. Ah Nicolas, ta générosité te perdra ! Bien sûr, comme à chaque fois, son accueil aura été d’autant meilleur que l’impressionnant déploiement des forces de l’ordre garantira que seuls des militants UMP triés sur le volet pourront approcher le chef de l’Etat et l’applaudir à tout rompre. Surtout pas de fausse note, le show doit se dérouler sans anicroche ; le préfet sait à quoi s’attendre au moindre souci...


Pas un mot par contre pour expliquer son léger retard : le 19 février, dans une allocution télévisée, il prétendait venir inaugurer les états généraux en Guadeloupe pour la fin avril... Il lui aura finalement fallu trois mois de plus pour se décider, mais bon, l’important c’est qu’il soit là, n’est-ce pas (1)?


b) Sa gestion de la crise

Deux phrases lui suffiront pour expliquer sa gestion de la crise, qui a tant fait polémique : « Beaucoup des décisions qui ont été prises l’ont été dans le but d’assurer, en priorité, la sécurité des personnes et des biens. Tout n’a pas été parfait, je le sais, mais nous avons évité le pire, même si je n’oublie pas qu’un homme est mort en Guadeloupe. » Un satisfecit global donc que s’accorde le chef de l’Etat. Il parle des nombreuses décisions prises. N’est-ce pas plutôt le manque de décisions sérieuses pour résoudre pacifiquement ce conflit, les voltefaces répétées et incompréhensibles de l’Etat et la volonté délibérée de laisser pourrir la situation, maintes fois dénoncée dans Chien Créole notamment, qui ont caractérisé sa gestion de la crise ?


Un peu plus loin, il ajoute : « je suis convaincu que seul le dialogue, seul un travail approfondi en commun peuvent apporter des solutions durables. Aucune solution ne peut naître du désordre et de la violence. » S’il croit tant que ça aux valeurs du dialogue, lui si prompt d’ordinaire à s’exprimer sur tous les sujets, à se rendre partout dès qu’il y a le moindre problème, pourquoi diable avoir précisément attendu qu’il y ait mort d’homme, que la Guadeloupe soit à feu et à sang pour sortir de son mutisme ? Le LKP pendant un mois de manifestations pacifiques et chaque fois plus nombreuses n’avait-t’il pas démontré sa volonté d’entamer un dialogue sérieux sur une base de propositions constructives traduites dans une plateforme de revendications ?


Enfin, s’il ne croit pas en la violence, pourquoi l’Etat l’a-t-il initiée sur l’archipel par la brutale répression policière au barrage de Poucette contre des manifestants pacifiques et désarmés ?



2° Reconnaissance des problèmes préexistants au soulèvement du LKP


a) Pas de sens?

Nicolas Sarkozy énumère un certains nombres de problèmes révélés au grand jour par le LKP, sans même citer ses sources. Surprenant de la part d’un homme si profondément attaché au droit d’auteur (cf loi hadopi) ! Il cite pêle-mêle : « la transparence des prix, le pouvoir d’achat, la répartition des richesses mais aussi l’accès des Guadeloupéens aux responsabilités dans l’entreprise et la Haute administration. »


Il égrène quelques statistiques révélatrices : « Qui peut comprendre que malgré ses centaines de kilomètres de côtes, 50% du poisson consommé aux Antilles soit importé d’Amérique du Sud ou d’Asie ? Qui peut comprendre que les Antilles ne produisent que 24% de leur consommation de fruits? Tout ceci n’a pas de sens. » Ça n’a certainement pas de sens pour le consommateur lambda mais ça en a beaucoup pour ses amis politiques, les importateurs békés, responsables de cette situation. Nous y reviendrons dans la 3ème partie.


b) Le passé colonial

Et puis, parlant du passé colonial de la France et pour ajouter aussitôt que celle-ci a changé, il dira simplement : « Je ne nie nullement les souffrances passées et les erreurs qui ont pu être commises. » Le massacre de mai 67, officiellement 87 morts, évoqué au cours de ces états généraux, très largement mis en lumière par le LKP, ne sera à aucun moment abordé dans son discours, sauf à comprendre qu’il se résume pour Sarkozy à « une erreur » ?.. Les Guadeloupéens, toutes tendances politiques confondues, attendent toujours que l’Etat français présente des excuses pour ce carnage qui empoisonne les relations entre la métropole et son département d’Outre-mer (à ce sujet, relire : http://chien-creole.blogspot.com/2009/05/parallele-historique.html) .


Mais pouvait-on sérieusement espérer une "rupture" sur cette question de la part d’un Nicolas Sarkozy qui déclarait encore le 7 avril 2007, à Lyon : « je déteste cette mode de la repentance qui exprime la détestation de la France et de son Histoire. Je déteste la repentance qui veut nous interdire d’être fiers de notre pays. » ? (2) (c’est sans doute toujours au nom de cette détestation qu’il n’a pas jugé opportun non plus d’assister aux commémorations de l’abolition de l’esclavage le 10 mai...)


Le 26 juin, ayant déjoué la vigilance des gendarmes, sur un parterre de pelouse longeant une voie d’accès à l’aéroport, des dizaines de petits écriteaux, pour autant de victimes de la féroce répression, interrogeaient discrètement : « Guadeloupéen tombé en mai 67, qui es-tu, où es-tu ? ».


(photo Adenanthera)


(à suivre)

FRédéric Gircour (trikess2002@yahoo.fr)


(1) D'autant que je ne suis pas mécontent que mon analyse se soit révélée juste. Les lecteurs assidus se souviendront que j'avais parié une bouteille d'excellent rhum vieux avec un ami qu'il viendrait.

(2) Retrouver l'intégralité du discours de N. Sarkozy à Lyon sur le site de l'UMP : http://www.u-m-p.org/site/index.php/s_informer/discours/nicolas_sarkozy_a_lyon