samedi 1 août 2009

Vodou haïtien, 3ème partie


SUR LES TRACES DES MYSTÈRES VODOUS EN HAÏTI (3)



1.Baudelaire, le houngan


Le houmfo, temple vodou, du houngan Samba’el, de son vrai nom Elien Isac, se trouve dans le quartier populaire de Montagne Noire, sur les hauteurs de Port-au-Prince. « Au temps de l’esclavage, c’est la forêt qu’on utilisait comme houmfo », me dit-il. Je lui récite de mémoire quelques vers de Baudelaire qui font naître sur son visage un large sourire :

« La nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L’homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l’observent avec des regards familiers. »


Charles Baudelaire

Il ne connaît pas ce Baudelaire, mais c’était sûrement un vodouisant !



2. Autour du poto-mitan


Le houmfo de Samba’el, comme tous les houmfos, se compose d’une pièce principale, appelée péristyle et d’une petite pièce adjacente.


Le peristyle de Samba’el et son poto-mitan (photo FG)

Le péristyle s’organise autour du poto-mitan, le poteau qui soutient tout le temple, sans lequel la bâtisse entière s’écroulerait. A son pied, de petites chaises forment un cercle sur lequel prennent place les hounsis, lors de cérémonies, pour entrer en communication avec les esprits, les loas, qui justement, descendent par le poto-mitan. Dans le terme hounsi, on reconnait le radical "houn" qui signifie esprit. Le suffixe féminin "–si" signifie chanterelle, qui chante. Ce sont les femmes qui servent le temple, par leurs chants, leurs danses et leurs prières, vêtues de blanc. Marie-Jeanne me précise qu’elle est à la fois mambo, c’est-a-dire prêtresse vodou et hounsi dans ce péristyle. Il n’y a donc pas une hierarchie bien etablie entre les deux fonctions.



3. Objets rituels


Outre l’asson qu’il utilise notamment au dessus de la cruche pour la cérémonie du govi (voir article ci-dessous), Samba’el me montre plusieurs objets rituels déposés au pied du poto-mitan, comme la poudre avec laquelle on dessine les vévés au sol, ces dessins stylisés qui servent à invoquer les loas, les esprits du vodou, ou encore du gingembre séché, un bracelet en pattes de cabris pour les chevilles, qui en s’entrechoquant au rythme des pas de danse évoquent la pluie. Il y a aussi le fret kach, ce fouet qu’on utilise aujourd’hui pour appeler les loas du rite petro ou encore le paquet kongo, petite poupée artisanale qui renferme des plantes médicinales.


Paquet kongo (photo FG)

L’inventaire vodou ne s’arrête pas là : il y a bien sûr des tambours et puis aux murs du péristyle, les tableaux de peinture haïtienne inspirés du vodou. Dans un coin, on trouve un autel où sont entreposées de nombreuses bouteilles décorées au côté d’un buste de Dessaline, héros de l’indépendance.



Autel (photo FG)


Ce dernier fit appel à Ogoun Ferray, loa guerrier, lors de la fameuse bataille de la Ferrière ; celle-là même qui vit une armée d’esclaves triompher de la plus puissante armée de l’époque : celle de Napoléon Bonaparte.


Curieusement, je ne me souviens pas que l’on m’ait enseigné à l’école cet épisode pourtant unique dans l’histoire universelle.


4. Le triangle mystique


Pour Winthrop Attié, le houngan de Seguin, il existe en Haiti trois houmfors plus importants que les autres. Ils se situent dans la région de l’Artibonite, pas très loin de la ville des Gonaïves.


Winthrop Attie (photo FG)

« C’est le cœur du vodou, m’explique-t’il, un triangle mystique formé par les trois "cours" principales, distantes de quelques kilomètres les unes des autres. Il y a déjà Lakou Souvnans (La cour Souvenance) (voir mes photos du pèlerinage vodou de la semaine sainte dans cette cour :

http://picasaweb.google.com/bourlingue/HaTiEtRPubliqueDominicaine#) qui symbolise la cour royale du Dahomay et donc le pouvoir temporel. Il y a ensuite Lakou Badjo, qui symbolise le pouvoir guerrier des Yorubas avec le rite nago. C’est là que Dessaline avait sa maison, ce n’est pas un hasard. Il y a enfin Lakou Soukri, de rite kongo, qui symbolise le peuple, la troupe. C’est aussi dans cette cour que les sociétés secrètes vodous tirent leur origine : bizangos, sampwels, etc. Quand ces trois pouvoirs (le temporel, le guerrier et le populaire) étaient réunis sous l’égide du spirituel, il s’en dégageait une puissance telle que les troupes de Napoléon n’ont pas pu y faire grand-chose. »



5. Le rapport a la mort


Je suis Elien Isac dans la petite pièce adjacente, beaucoup plus sombre, éclairée par la seule lueur de quelques bougies. Sur une étagère sont entreposés de petits pots, on les appelle "po de tèt". C’est là qu’on met l’esprit des morts. L’action qui consiste à prendre l’esprit de la personne s’appelle "desoune" (prononcez dessouner). Il y a aussi une grosse croix faite de branches, très rustique, avec toutes sortes de fétiches accrochés. Samba’el m’explique le sens de sa présence dans cet endroit : La croix symbolise le cimetière et donc le lien avec les esprits de nos ancêtres. Pour nous, la mort n’est pas l'opposé de la vie, au contraire, dans le vodou, vie et mort coexistent harmonieusement. Celui qui meurt donne la vie et nous croyons que nos parents qui nous quittent aident et accompagnent les vivants. Ils nous donnent la force dont nous avons besoin. » A mon grand étonnement et de la façon la plus naturelle du monde, il me montre le crâne de son grand-père, qui lui aussi était houngan et qui l’accompagne dans les cérémonies.


Samba’el dans son péristyle (photo FG)


Je remarque sur le sommet du crâne des coulées de cire de bougie et comprend à quel point nos cultures sont différentes. Pour nous occidentaux (si tant est que ce terme ait le moindre sens dans le cas précis puisqu’ Haïti est bien plus a l’ouest que l’Europe…), la mort nous inspire une terreur sacrée et on préfère vivre en refoulant l’idée même de la vieillesse et de l’inéluctable. Le vodouisant, lui, l’a longtemps vue comme une libération souhaitée et aujourd’hui comme une force.


Crâne du grand-père houngan de Samba’el (photo FG)


Malentendu indépassable : puisque l’Européen n’ose pas regarder la mort en face et n’y projette que des valeurs négatives, alors, ceux qui entretiennent un rapport, disons plus intime avec la mort, sont fatalement animés par des intentions négatives, pour ne pas dire maléfiques … Nul doute que cela a nourri la legende noire du vodou.


FRédéric Gircour (trikess2002@yahoo.fr)