mardi 9 décembre 2008

Critique cinéma


ALIKER, COPIE A REVOIR


1° Hommage à un homme admirable


Mercredi 3 décembre est sorti à Pointe-à-Pitre, un film de Guy Deslauriers, qui se passe dans la Martinique des années 30. Le scénario est de Patrick Chamoiseau, écrivain martiniquais, prix Goncourt en 1992 pour son roman Texaco. L’histoire est inspirée d’un fait réel. On y voit le combat d’un jeune communiste, André Aliker, incarné par Stommy Bugsy, responsable du petit journal Justice, pour lequel il se démène comme un beau diable. L’engagement d’Aliker est remarquable : il consacre tout son temps libre au journal, de l’investigation à l’écriture des articles, jusqu’à l’impression dans une petite imprimerie artisanale, en passant par la vente de la gazette à la criée, dans la rue. Sa soif de vérité et de justice le conduit à affronter le Dragon, un béké (antillais d’origine française) tout-puissant qui a pris le contrôle de l’île grâce à un système de corruption généralisée, allant du gouverneur aux juges et j’en passe… Rien ne détournera Aliker de sa mission : révéler au grand jour toute la corruption du système colonial. Ni les menaces, ni les tentatives de corruption ou de meurtres sur sa personne, pas même sa famille qui se déchire suite à ses choix ne le feront plier.


Quant à la reconstitution de la Martinique des années 30, elle est plutôt réussie a priori (je dis a priori car je n’ai pas connu cette époque) et évite l’écueil de tomber dans les clichés de la carte postale. Il pleut d’ailleurs beaucoup dans le film et Deslauriers réussit l’exploit de créer une atmosphère de polars, sous les tropiques.


2° Quelques faiblesses


Le jeu des acteurs en revanche, à quelques exceptions près, est loin d’être extraordinaire ou convainquant. Il y a également des invraisemblances : chaque fois qu’on écoute la radio dans le film, c’est pour entendre des discours d’Hitler traduits, invectivant communistes et syndicalistes. La ficelle est un peu grosse. Par ailleurs, la scène où tous se mettent à crier « justice !!! », vers la fin du film, dans un bel élan, à un côté hollywoodien très facile dont le film aurait pu faire l’économie.



3° Journalisme ou politique ?


source : http://pagesperso-orange.fr/jeanpaulbernard/cv/fichinfos/aliker.html

Sur le fond à présent, on ne comprend pas l’incapacité d’Aliker, faisant cavalier seul, à justifier sa recherche de la vérité autrement que par un devoir journalistique. En effet, il se bat en permanence contre certains membres de son parti, dont son oncle, qui lui opposent politique et journalisme, comme si c’était incompatible, comme si la pseudo neutralité en journalisme n'était autre chose que ce qui n'heurte pas la pensée dominante. Ils lui reprochent de se détourner de son rôle de militant. Dénoncer la corruption de l'état colonial, exiger la justice, contribuer à créer un monde plus intègre où les puissants ne pourront plus bafouer les droits des travailleurs et les lois, ni détourner l’argent public, est pourtant tout autant politique sinon plus que de remporter des élections à venir.


Le personnage d’Aliker, lui-même, à plusieurs reprises semble dénigrer l’aspect politique de son combat : notamment lorsqu’il explique à un de ses camarades les plus proches, que quelque soit le régime dans lequel on vit, que le communisme triomphe ou non, on aura toujours besoin d’informations, et que c’est ça le plus important.


Concernant son attitude, on s’interroge aussi lorsqu’après qu’on a essayé de le tuer, il refuse que ses camarades le protègent à tour de rôle en lui servant de garde du corps. Il estime que personne ne doit courir de risques pour lui et semble incapable de songer un instant que ce combat puisse être celui de tous et qu’il est parfaitement légitime que chacun assume sa part de risque.


Il y a donc une contradiction flagrante entre l’effort considérable qu’il met dans sa gazette pour conscientiser les masses, les inciter à passer à l’action collective pour le bien-être de tous, d’une part, et ce refus de donner une dimension collective à la lutte qu’il mène, d’autre part. Le film qui se veut résolument engagé perd en cohérence, mais peut-être cette incohérence est-elle délibérée pour souligner les contradictions du personnage historique Aliker ? Accordons le bénéfice du doute à Chamoiseau.



4° Des relents xénophobes


A plusieurs reprises dans le film, les protagonistes communistes s’opposent : doivent-ils, dans une logique purement marxiste considérer que leur combat est une lutte de classe et rien d’autre ou une caractéristique importante de ce combat doit-elle être l’émancipation du peuple noir opprimé par les blancs. Aliker pour sa part semble donner une part égale à ces deux considérations. Cette appropriation du marxisme pour l'adapter à la réalité locale contre les dogmatismes est un processus, en soi, très intéressant. Pourtant, on croit deviner un relent de xénophobie dans le film quand un tailleur "anglais" noir (comprenez Sainte-Lucien, Sainte Lucie est une petite île anglophone voisine de la Martinique) trahit Aliker de façon odieuse. Ce fait est historique; ce qui ne l’est pas, c’est l’explication qu’il donne dans le film : « Les békés donnent du travail aux Anglais comme moi. » (entendez toujours les caribéens anglophones) . Sans vouloir dévoiler la fin du film, ce commentaire tendancieux ne peut être historique sinon inventé par le scénariste ou prononcé dans d’autres circonstances que celles données dans le film. Il donne à penser en filigrane que la lutte pour les noirs connaît ses limites, elle n’inclue pas les immigrés, qui au contraire serviraient fourbement les intérêts des blancs.


Un ami Guadeloupéen m’expliquait il y a peu que certains en Guadeloupe (pas la majorité de la population fort heureusement, mais tout de même) considèrent que la France serait laxiste vis-à-vis de l’immigration haïtienne (ce qui en soit est déjà plus que contestable) clandestine ou non, car la métropole nourrirait l’espoir que noyée démographiquement par l’ "invasion" haïtienne, les revendications identitaires guadeloupéennes disparaîtraient ou ne parviendraient plus à se faire entendre. Raisonnement extraordinaire : ce n’est pas le matérialisme effréné ou l’imposition de la métropole dictant ses lois et son mode de vie aux Guadeloupéens à 7000 kilomètres de là qui menaceraient l’identité culturelle des Guadeloupéens, peuple caribéen, mais les Haïtiens, peuple frère de la Caraïbe, qui tentent de trouver ici une vie meilleure. Les propos prêtés au tailleur dans le film et ce genre de raccourcis sont donc dangereux et condamnables. Ca ternit l’image d’un film qui aurait pu fournir un exemple très positif pour la jeunesse antillaise et à Chien Créole, on le déplore, même si on invite tout le monde à aller le voir pour se faire sa propre idée !


Trikess (FG)

Pour en savoir plus, vous pouvez télécharger le dossier de presse du film au format PDF en cliquant ici www.madiana.ws/pdf/dossier-aliker.pdf