HOMMAGE D’ERNEST PEPIN A AIME CESAIRE (3ème et dernière partie)
L’Occident, l’Afrique, des pays lointains tendent leurs mots pour démailler le langage et l’installer dans l’éloge de l’universel. Qu’on y prenne garde. Il ne s’agit pas du vieil universel jaloux, étroit, excluant. Il s’agit d’un universel accueillant tous les peuples, toutes les peaux, toutes les cultures dans l’insolite bouquet d’une fraternelle conciliation. D’un universel qui oblige l’occident, grand chef d’orchestre des cacophonies coloniales, à se repenser en simple composante du grand concert du monde. D’où le primat de l’identité, d’où les cultures, d’où la cosmogonie, d’où l’exigence de la justice, d’où les grands refus d’un nazisme antérieur à Hitler, commué en racisme d’état par lui, poussant aujourd’hui encore ses tentacules philosophico-culturelles empoisonnées, rampant dans les coins, les greniers, les bibliothèques, les temples mêmes de ceux qui s’arrogent l’impossible fardeau de la beauté unique, de la bonté unique, de la morale unique. En un mot de la civilisation unique.
Et tant pis pour nous qui ne voyons pas que ladite mondialisation n’est que la forme suprême d’une colonisation peut-être plus meurtrière car elle tue l’âme des peuples. Quand le monde entier se vêtira de jean, quand le monde entier ne parlera qu’une seule langue, quand le monde entier aura des perruques blondes, quand le monde entier fêtera Halloween, alors sera venu le temps d’une glaciation terrible et inhumaine : celle des cultures mortes et des diversités assassinées. Autrement dit le combat n’est jamais fini ! Et il fera nuit sombre sans les épis de lumière de cette poésie là.
Aujourd’hui la révolte gronde dans le slam des jeunes. Césaire était d’un autre slam et d’un autre rugissement. Il y a tout de même une continuité : celle des dénonciations et des insolences jaillies des chutes de mots et des confettis d’étincelles, de braises. Et ce sont paroles délinquantes dans nos peuples captifs, se passant eux-mêmes la corde au cou quotidiennement. A l’école, dans les supermarchés, dans les publicités, dans toutes les images dégradantes d’eux-mêmes. Il est temps en Guadeloupe et en Martinique que l’on achète plus de livres que de bouteilles de champagne et que l’on se condamne soi-même à faire émerger le génie de notre peuple.
Il y avait cette parole. Il lui fallait un moteur et c’est son rythme de free-jazz, de tambour convulsé, de syncopes drues. On a beaucoup parlé du cri césairien. Il faut tordre le coup à cette surdité. Césaire n’est pas dans le cri, il est dans la profération, dans la rumination dévoilante, dans l’urgence d’une tornade et le chaos d’un cyclone. Sa parole est un cérémonial, non pas à la manière de Saint-John Perse, mais à l’exacerbé d’une transe frôlant l’hypnose et le désarticulé d’un possédé. De là procède le tout-dire et j’oserai presque ajouter, le dire n’importe comment. Autrement compris, le dire né d’un surgissement tortueux où les phrases éclatent comme des gousses sèches, se retiennent au bord du silence, se rallongent en de surprenantes reptations avant d’aboutir au mot obsédant et obsédé. Il se dégage une énergie constamment relancée par le moteur des allitérations, des répétitions, des juxtapositions de cette poétique du bouillonnement où le rythme épouse le jeu des métamorphoses et des spirales. En des moments d’apaisement soudain tout se calme comme des sommeils de mares. Le mot s’égoutte en petites graines d’une douceur suffocante. Le dire plane, un instant sauvé du désastre.
Cette poésie de vieux-nègre-chaman se nourrit d’images rameutées du tout-partout : mythologies gréco-latines, références africaines, ressenti caribéen, paysages divers. Et nous sommes emportés par le courant d’un inconscient qui, là devant, se dévêt et se révèle. Il faudra un jour étudier le monde intérieur de cette nudité à la fois exhibée et camouflée. Les visions personnelles, les bribes d’un film secret, les tableaux effondrés, les brûlures de l’histoire, ce tout condensé et rescapé des fureurs d’un combat ouvert entre le ça, le moi et le surmoi. Tension et surtension !
Je voudrais conclure ce propos en soulignant combien la poésie d’Aimé Césaire, si tellement triste parfois, ne trahit jamais l’espoir. L’espoir est là, maculé par des songeries amères, entouré de sa coque de colère, meurtri par les vagues où dorment les victimes, mais toujours là ! Cœur tendre de la condition humaine ! Comme s’il s’agissait de préserver sa pépite afin de l’offrir aux générations futures. Césaire ne croit ni à l’inertie, ni à la fin du monde. Il est dans ce trébuchement épique où l’être humain, malgré des pauses douloureuses, des égarements pathétiques, des virages dangereux, se redresse et finit par se mettre debout. Debout, ai-je dit ! On devrait entendre, accordé à son destin, réconcilié avec son humanité, frère des fraternités. Aimé Césaire, Père oui ! Frère, Frère du monde !
Et tant pis pour nous qui ne voyons pas que ladite mondialisation n’est que la forme suprême d’une colonisation peut-être plus meurtrière car elle tue l’âme des peuples. Quand le monde entier se vêtira de jean, quand le monde entier ne parlera qu’une seule langue, quand le monde entier aura des perruques blondes, quand le monde entier fêtera Halloween, alors sera venu le temps d’une glaciation terrible et inhumaine : celle des cultures mortes et des diversités assassinées. Autrement dit le combat n’est jamais fini ! Et il fera nuit sombre sans les épis de lumière de cette poésie là.
Aujourd’hui la révolte gronde dans le slam des jeunes. Césaire était d’un autre slam et d’un autre rugissement. Il y a tout de même une continuité : celle des dénonciations et des insolences jaillies des chutes de mots et des confettis d’étincelles, de braises. Et ce sont paroles délinquantes dans nos peuples captifs, se passant eux-mêmes la corde au cou quotidiennement. A l’école, dans les supermarchés, dans les publicités, dans toutes les images dégradantes d’eux-mêmes. Il est temps en Guadeloupe et en Martinique que l’on achète plus de livres que de bouteilles de champagne et que l’on se condamne soi-même à faire émerger le génie de notre peuple.
Il y avait cette parole. Il lui fallait un moteur et c’est son rythme de free-jazz, de tambour convulsé, de syncopes drues. On a beaucoup parlé du cri césairien. Il faut tordre le coup à cette surdité. Césaire n’est pas dans le cri, il est dans la profération, dans la rumination dévoilante, dans l’urgence d’une tornade et le chaos d’un cyclone. Sa parole est un cérémonial, non pas à la manière de Saint-John Perse, mais à l’exacerbé d’une transe frôlant l’hypnose et le désarticulé d’un possédé. De là procède le tout-dire et j’oserai presque ajouter, le dire n’importe comment. Autrement compris, le dire né d’un surgissement tortueux où les phrases éclatent comme des gousses sèches, se retiennent au bord du silence, se rallongent en de surprenantes reptations avant d’aboutir au mot obsédant et obsédé. Il se dégage une énergie constamment relancée par le moteur des allitérations, des répétitions, des juxtapositions de cette poétique du bouillonnement où le rythme épouse le jeu des métamorphoses et des spirales. En des moments d’apaisement soudain tout se calme comme des sommeils de mares. Le mot s’égoutte en petites graines d’une douceur suffocante. Le dire plane, un instant sauvé du désastre.
Cette poésie de vieux-nègre-chaman se nourrit d’images rameutées du tout-partout : mythologies gréco-latines, références africaines, ressenti caribéen, paysages divers. Et nous sommes emportés par le courant d’un inconscient qui, là devant, se dévêt et se révèle. Il faudra un jour étudier le monde intérieur de cette nudité à la fois exhibée et camouflée. Les visions personnelles, les bribes d’un film secret, les tableaux effondrés, les brûlures de l’histoire, ce tout condensé et rescapé des fureurs d’un combat ouvert entre le ça, le moi et le surmoi. Tension et surtension !
Je voudrais conclure ce propos en soulignant combien la poésie d’Aimé Césaire, si tellement triste parfois, ne trahit jamais l’espoir. L’espoir est là, maculé par des songeries amères, entouré de sa coque de colère, meurtri par les vagues où dorment les victimes, mais toujours là ! Cœur tendre de la condition humaine ! Comme s’il s’agissait de préserver sa pépite afin de l’offrir aux générations futures. Césaire ne croit ni à l’inertie, ni à la fin du monde. Il est dans ce trébuchement épique où l’être humain, malgré des pauses douloureuses, des égarements pathétiques, des virages dangereux, se redresse et finit par se mettre debout. Debout, ai-je dit ! On devrait entendre, accordé à son destin, réconcilié avec son humanité, frère des fraternités. Aimé Césaire, Père oui ! Frère, Frère du monde !
Ernest Pépin
Faugas, le 23 avril 2008
(prononcé lors d'un discours pour l'ouverture du salon du livre de Pointe-à-Pitre, en avril 2008)