DES NOUVELLES DU FRONT DE GUADELOUPE
21ème JOUR DE GREVE : CITOYENS DE SECONDE ZONE
Décidément, le conflit social aux Antilles est plein de rebondissements ! M. Fillon, premier ministre, vient d’annoncer l’imminent retour d’Yves Jégo en Guadeloupe. Le secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer était parti à Paris, pour plaider en faveur des 108 millions qu’il a déjà promis aux Guadeloupéens. Aujourd’hui, démenti cinglant de François Fillon : "l'Etat ne saurait, à l'évidence, se substituer aux partenaires sociaux dans les responsabilités qui leur reviennent". Autrement dit, ne comptez pas sur l’Etat et les 108 millions d’euros promis pour que les bas-salaires soient augmentés.
De désaveu en désaveu, le LKP ne sait plus à quel saint se vouer et commence à avoir l’impression qu’on se moque de lui. Petit retour pour ceux qui auraient loupé les épisodes précédents : les négociations entamées par le préfet en l’absence remarquée de M. Jégo ont été interrompue après 4 jours quand le secrétaire d’Etat lui-même a finalement daigné venir. Balayé, caduque, nul et non avenu, le premier protocole d’accords sur la méthode, cosigné par le préfet, alors plus haut représentant de l’Etat sur l’archipel. Jégo a imposé une nouvelle méthode, beaucoup plus opaque. Pendant le temps qu’ont duré les négociations, il a refusé qu’elles continuent à être diffusées en direct pour les Guadeloupéens et a réservé ses interviews à la presse nationale, snobant avec superbe la presse locale.
Fable moderne...
Le collectif a encaissé tout ça, avec beaucoup de patience. Aujourd’hui rebelote, les avancées des négociations sont remises en cause, cette fois par le premier ministre qui désavoue son secrétaire d’Etat. Ce nouveau retournement du gouvernement Fillon finit de ternir le peu de crédibilité que l’Etat avait encore ici. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce ne sont pas les manifestants mais le gouvernement lui-même qui bafoue l’Etat en ne respectant pas la parole donnée en son nom, qui ridiculise ses représentants, d’abord le préfet, ensuite le secrétaire d’Etat.
La gestion du conflit par le gouvernement Fillon, téléguidée par Nicolas Sarkozy, est depuis le début désastreuse : le silence de Jego pendant plus d’une dizaine de jours de grève générale alors qu’élus et collectif le priaient de venir au plus vite ; la façon dont le préfet a quitté la table des négociations après lecture d’une note d’Yves Jégo suscitant l'indignation générale ; la manière dont Yves Jégo n’a pas honoré son rendez-vous avec les élus, le LKP et les socioprofessionnels. Il est parti pour Paris "comme un voleur", sans un mot d’explication et laissant le soin à son malheureux préfet d’expliquer cette nouvelle indélicatesse. Ca commence à faire beaucoup et les Guadeloupéens sentent bien qu’on ne les prend pas au sérieux, qu’on ne les respecte pas. Ici on entend de plus en plus dire : « nous sommes vraiment des citoyens de seconde zone »…
Pour couronner le tout, Sarkozy si prompt à intervenir partout où il y a le moindre souci, omniprésent sur tous les fronts, ignore royalement la Guadeloupe. Aujourd’hui politiques et chroniqueurs s’interrogent sur le sens de sa visite à Bagdad ! Sarkozy est en Irak, pré-carré états-unien comme chacun sait, alors qu’un département français est complètement paralysé depuis 21 jours !!! C’est surréaliste ! Pas un mot non plus lors de sa pourtant très longue explication avec la presse, l’autre jour à la télé, alors que la question des Antilles était très attendue. C’est à se demander si Sarkozy n’est pas en train de nous refaire le coup du pompier pyromane, quand il s’amusait à provoquer les jeunes des banlieues, entraînant le soulèvement qu’on connaît. Il est vrai que ça ne lui avait pas mal réussi, puisque ça lui avait permis derrière de faire sa campagne sur le tout sécuritaire en jouant sur les peurs des Français hors-banlieues ; ce qui, avec une bonne dose de démagogie sur le pouvoir d’achat, avait finit par séduire une majorité d’électeurs aux présidentielles.
Ceci étant dit, sur le fond, il paraît évident que ces 108 millions étaient une aberration : j’ai eu l’occasion de l’écrire plusieurs fois : l’argent de l’Etat, c’est l’argent de nos impôts. C’est trop facile pour les grands patrons qui sont les premiers responsables de la pwofitasyon (voir l’excellent documentaire de Canal + : les derniers maîtres de la Martinique) de fuir leur responsabilité en se cachant derrière l’Etat. Ce qu’on peut déplorer, c’est que ce dernier ne sorte pas grandi par cette promesse faite par un Yves Jégo sensible aux sirènes des békés.
Aujourd’hui le blocage est complet. Après autant de sacrifices et alors que tout un peuple est mobilisé derrière cette revendication, il est inconcevable pour les manifestants de reprendre tranquillement leur vie quotidienne sans avoir obtenu les 200 euros d’augmentation de salaire. L’Etat vient d'annoncer qu'il ne payerait pas et les patrons guadeloupéens, fidèles à leur tradition autoritaire et d’exploitation ne comptent pas mettre un centime sur la table. Au contraire, avec cynisme, ils profitent du mouvement pour demander plus d’aides à l’Etat. Si le dialogue et les négociations devaient échouer, il faudra s’attendre à une escalade de la violence avec tous les risques que cela comporte. En premier lieu le risque que ça dégénère en conflit racial. Des raccourcis hâtifs pourraient être faits : il est vrai que plus de 90% des grands patrons ici sont blancs et que plus de 90% des manifestants sont de couleur. Pourtant, nous sommes très nombreux parmi les métropolitains vivant en Guadeloupe à n’exploiter personne, à souffrir comme tout le monde d’un pouvoir d’achat qui se détériore de jour en jour, à ne plus supporter la politique sarkoziste, à l’image des deux millions de personnes qui ont manifesté en métropole le 29 janvier. Les patrons, eux se pensent fort, car ils savent pouvoir compter sur l’appareil répressif de l’Etat si leurs intérêts faramineux sont menacés. Au XXIème siècle, les citoyens de métropole permettront-ils cette mascarade ? Pas sûr.
L’espoir viendra peut-être de la contagion de la révolte. La Martinique est entrée dans le conflit social à son tour, avec des revendications encore plus importantes que celles de la Guadeloupe : quand la Guadeloupe se contente de réclamer 200 euros d’augmentation pour les bas-salaires, la Martinique en exige, elle, 300 pour tous les salariés ! La Guyane va suivre, et les forces sociales, qui en France préparent les négociations annoncées par Sarkozy le 18 février, observent d’un œil très attentif ce qui se passe outre-mer. Au 21ème jour de grève générale, plus que jamais, la Guadeloupe montre l’exemple. La seule issue pacifique possible, c’est que les patrons qui ne sont pas en difficulté économiques entendent raison et en ces temps difficiles, consentent à renoncer à une partie de leurs fantastiques bénéfices. C’est une question de justice sociale, de répartition des richesses. Il faut maintenant que certains comprennent que le temps des colonies, c’est terminé. On n’en veut plus.
Frédéric Gircour