mardi 10 février 2009

prise de position


Les rapports interraciaux en Guadeloupe et l’épineuse question des discriminations à l’embauche



I DES RELATIONS BASEES SUR UNE HISTOIRE DE VIOLENCE


1° Les amérindiens

Pour traiter à fond la question des rapports interraciaux, il faudrait bien sûr revenir sur l’Histoire, histoire douloureuse et extrêmement violente, en commençant par l’anéantissement de la population amérindienne qui vivait ici, arawaks et surtout caraïbes, par les colons français.


2° L’esclavage

Il faudrait ensuite développer comment ces mêmes colons français ont fait venir 700 000 hommes et femmes d’Afrique aux Antilles pour en faire des esclaves en les traitant pire que des animaux. Cette barbarie sans nom est reconnue comme crime contre l’humanité par la France depuis 2001, grâce notamment aux efforts de Chistiane Taubira, députée de la Guyane. La question de la réparation de l’esclavage, elle, reste toujours posée. Je ne vais pas m’attarder sur ces points pour l’instant, préférant me concentrer sur l’actualité, mais j’aurai l’occasion d’y revenir plus longuement dans Chien Créole (cela dit sur l’évocation de l’esclavage et la question de sa réparation, je vous renvois au très beau texte d’Ernest Pépin, qui se trouve être le premier billet à avoir été publié dans Chien Créole.)


3° Un terrain miné

Si cette période est fort heureusement révolue, nous verrons comment ce traumatisme conditionne encore inconsciemment bien des comportements et l’organisation sociale même de la Guadeloupe. Ce n’est pas en éludant cette évidence que nous résoudrons le problème. J’ai bien conscience que poser la question des rapports interraciaux en Guadeloupe en cette période de très vive agitation sociale, va m’attirer les foudres des gens bien pensants, qui redoutent une polarisation entre communautés.


4° Une attitude constructive

Il ne s’agit pourtant en aucun cas jeter de l’huile sur le feu, je ne veux pas non plus faire comme si les problèmes n’existaient pas. Il faut certes savoir reconnaître les crimes commis dans le passé mais surtout travailler à construire un futur différent. Je veux simplement essayer de démontrer qu’il existe des solutions politiques constructives pour remédier aux problèmes, et que les ressentiments et les non-dits sont certainement pire que le fait d’essayer de dépasser ensemble nos blocages. Je suis convaincu depuis le début que ce qui se joue aujourd’hui va bien au-delà de la simple question du pouvoir d’achat. Nous sommes en train de construire la Guadeloupe de demain et à travers cette petite réflexion, je souhaiterais en tant que métro, apporter ma pierre à l’édifice.


5° Les Indiens

Revenons tout de même pour quelques lignes de plus sur l’histoire des migrations en Guadeloupe. A l’abolition de l’esclavage, l’immense majorité des noirs a refusé de continuer à travailler pour les békés. Profitant de ses comptoirs en Inde, la France a fait venir de très nombreux travailleurs indiens volontaires, promettant de prendre en charge un retour qu’ils attendent toujours. Ou plutôt, ils ne l’attendent plus et sont venus enrichir la mosaïque humaine que constitue la Guadeloupe.


6° Racisme et exploitation

Par la suite, est venue s’ajouter la communauté syrio-libanaise, puis la chinoise. Enfin, il y a longtemps que des ressortissants des îles voisines, Dominicais, Haïtiens et Dominicains sont présents sur l’archipel même si leur nombre a augmenté ces dernières années. C’est sans doute cette dernière catégorie qui souffre le plus du racisme et de l’exploitation ici. Récemment le collectif a demandé une minute de silence en mémoire du jeune Haïtien de 21 ans qui vient de décéder après qu’une machine lui a arraché les jambes sur une plantation de bananes. Il avait été embauché sans papier par un patron sans doute pas très regardant sur la sécurité de cette main d’œuvre corvéable à merci.


7° Deux communautés blanches bien distinctes

Pour ce qui est des blancs, il y a donc les békés, venus au début du XIXème siècle de la Martinique, car ceux de Guadeloupe ont été en grande partie guillotinés à la révolution française ou exilés (je parlerai spécifiquement du problème béké dans un prochain article); et les métros donc, français nés en métropole.



II CHACUN A SA PLACE


1° Richesse de la diversité

Je pourrais m’étendre longuement sur la richesse culturelle, née de cette diversité, parler de la langue créole, née de cette histoire, de la négritude et du concept de créolité, parler de la gastronomie qui reflète les apports de chacun, relater un rapport au monde et au temps particulier, parler du gwo ka, du tissu madras, des lewozs, des chanté noël, etc, toutes ces traditions nées d’influences croisées. Je pourrais parlé de la beauté des métisses (je ne vous parlerai pas des rythmes chaloupés du zouk, n’insistez pas, je n’aime pas !) Je pourrais reconnaître aussi que depuis quatre ans que je vis en Guadeloupe, je n’ai jamais souffert du moindre racisme et qu’en général, pour peu qu’on ait une attitude respectueuse, et non celle d’un colon, on n’a aucun problème en tant que métro en Guadeloupe.


2° « Priorité d’embauche pour les Guadeloupéens »

Je pourrais parler de tout ça, de tous les points extrêmement positifs nés de la coexistence des différentes cultures qui ont fini par en créer une, mais je vais plutôt soulever les problèmes de discriminations à l’embauche qui existent ici et qui nous préoccupent actuellement. L’un des points de revendication de la plateforme du LKP qui a fait le plus polémique porte sur la « priorité d’embauche pour les Guadeloupéens ». Ce point est mal vécu par la plupart des métropolitains qui y voient une mesure discriminatoire à leur encontre et un signe de repli sur soi des antillais. Certains qui se sont battus contre les discriminations à l’encontre des minorités visibles en métropole et qu’ont peut accuser de tout sauf d’être racistes ont pris leur distance avec le mouvement par rapport à ce point. Ca ne passe pas vis-à-vis de leurs convictions républicaines. D’autres en revanche, à l’occasion des débats télévisés, ont pris conscience de problèmes dont ils ne soupçonnaient pas l’ampleur.


3° Etat des lieux

Alors, avant de revenir sur ce point, voyons un peu quelle est la réalité de l’embauche aujourd’hui en Guadeloupe. Lors des premières négociations, celles qui étaient télévisées, le collectif, par la bouche d’Elie Domota, dirigeant du syndicat indépendantiste nationaliste, l’UGTG , a brossé un portrait peu reluisant de la situation: en substance, il a rappelé que la population d’origine africaine ou indienne est presque totalement exclue des postes de responsabilité en Guadeloupe. Les cadres sont en général recrutés en métropole par des agences de consultants tenues par des métropolitains. Les seuls cadres de couleur que l’on retrouve selon Elie Domota, sont ceux qui travaillent à la gestion de la misère : ANPE, CAF, ASSEDICS, etc. Même s’il force pas mal le trait, la tendance est indiscutable.


4° Le point négligé par le collectif LKP

Mais ce qu’oublie de dire M. Domota et que bien peu de gens ont aujourd’hui le courage de dénoncer, c’est que si les emplois de cadre semblent effectivement réservés au blancs, les emplois moins qualifiés sont réservés aux Guadeloupéens de naissance, vivant sur le sol guadeloupéens (les antillais qui rentrent de métropole, sont de fait exclus de ces emplois, ce qui montre bien qu’il ne s’agit pas seulement d’une question raciale). Autour de moi, je connais beaucoup de métros qui ont eu les plus grandes difficultés pour trouver un emploi, certains parmi mes connaissances ont même renoncé et sont retournés en métropole.


5° Une société entière définie sur l’appartenance ethnique

Ainsi donc, c’est tout un système qu’il s’agit de remettre à plat, car si les blancs n’imaginent pas qu’un noir puisse faire l’affaire en tant que cadre, les noirs aussi ont intériorisé que les emplois peu qualifiés leurs reviennent de droit. L’effort du LKP pour sortir de cette dynamique est donc louable mais très insuffisant. Il faut aller plus loin dans le rejet de toutes les discriminations qui reposent sur une organisation raciale de la société.


6° Un blanc jardinier aux Antilles

Stéphane, un ami métro, ne trouvant pas d’emploi, s’est décidé à devenir jardinier. Le climat tropical fait que l’herbe pousse très vite et les gens qui ont un peu d’argent ont l’habitude de payer quelqu’un pour débroussailler leur jardin. Démarchant de maison en maison pour proposer ses services, il m’a rapporté l’étonnement et l’amusement des antillais qui trouvaient vraiment saugrenu qu’un blanc coupe leur gazon. Il faut reconnaître qu’il ne doit pas y avoir tellement de blancs qui se soient lancés dans ce travail, mais leur réaction montre bien que les rapports de hiérarchie entre les races, si tant est que ce mot ait un sens, hérités du colonialisme, sont toujours bien ancrés dans les mentalités.



III PRENDRE DE LA HAUTEUR


1° A compétences égales

Le fait de demander la priorité d’embauche aux Guadeloupéens risque d’être contre-productif. La Guadeloupe pour avancer a besoin de personnes qualifiées. Le seul critère de l’origine en soi, ne garantit en rien que la personne soit apte au travail qu’on va lui assigner. On peut déjà déplorer cet état de fait dans tout un tas de postes occupés par des gens qui ont été pistonnés sans capacités réelles. En revanche, il paraît logique pour contrecarrer une discrimination bien réelle de donner un coup de pouce aux Guadeloupéens, leur donner la préférence, mais à compétences égales. Sinon en effet, pourquoi un jeune guadeloupéen choisirait-il par exemple de faire des études en hôtellerie afin de contribuer au développement de son île si c’est pour qu’au final, on donne la préférence à quelqu’un venant de l’extérieur ! Surtout qu’en métropole, il risque une nouvelle fois d’être discriminé. Il ne lui restera plus qu’à faire un boulot sans rapport avec ses études ou à rejoindre les 45% de moins de 29 ans au chômage. Quasiment un jeune sur deux. Si le mérite des antillais d’origine africaine ou indienne est enfin reconnu à sa juste valeur, et si parallèlement on arrête de donner des emplois à des gens qui ne le méritent pas, alors, les jeunes à n’en pas douter seront beaucoup plus motivés par les études et c’est le niveau global de la Guadeloupe qui va s’élever, son développement qui va en bénéficier.


2° Chiche

L’autre solution, c’est de faire l’autruche, nier les problèmes et refuser l’action positive. Dans un monde parfait nous n’aurions pas besoin d’action positive, terme mille fois préférable à celui, imbécile, de discrimination positive. Mais force est de reconnaître que la politique des quotas aux Etats-Unis notamment a permis l’émergence de toute une classe sociale noire à des postes de responsabilité aussi bien dans le privé que dans le public, qui a pu faire la démonstration de ses compétences, et dont Barak Obama est l’un des dignes représentants. La parité homme-femme en France est déjà une nécessité admise. Quant au système républicain français, je n’ose dire d’intégration s’agissant de Français à part entière, il a montré ses limites en n’empêchant d’aucune manière les discriminations et la sous-représentation de certaines catégories de la population pour toutes sortes d’emploi. Je ne pense pas que les quotas soient la solution qu’il nous faut mais la préférence aux Guadeloupéens, à compétences égales, au moins pour les postes de responsabilité, me paraît être un minimum si on veut sortir la Guadeloupe de l’ornière où elle est restée embourbée. Voilà un combat porteur sur lequel nous pouvons tous nous retrouver, antillais comme métros.


Frédéric Gircour (trikess2002@yahoo.fr)