vendredi 13 février 2009

journée à très haut risque


DES NOUVELLES DU FRONT DE GUADELOUPE

24ème JOUR DE GREVE GENERALE : « CA VA PETER »


1° L’autre symbolique du 14 février

Demain le LKP appelle à manifester dans la ville du Moule pour commémorer la répression du 14 février 1952. Ce jour-là, des syndicalistes paysans demandant une augmentation de salaire avait été réprimés par la police qui avait ouvert le feu sur les manifestants, laissant 5 morts sur le pavé. Comme le massacre de 1967, cette répression sanglante reste gravées dans la mémoire des Guadeloupéens. Il est à noté que le 14 février a aussi une puissante connotation en Martinique puisque ce jour là, en 1974, il y aura 35 ans demain, un ouvrier agricole gréviste y a été abattu par les gendarmes (écoutez à ce sujet la très belle chanson de Kolo Barst, jeune et talentueux auteur-compositeur martiniquais "février 74").


2° Reconquête bleue du territoire

La commémoration en Guadeloupe va se célébrer dans un contexte très particulier. Pour commencer elle a lieu dans la ville du Moule, dont la maire, Mme Carabin est la chef de file de l’UMP Guadeloupe, et donc très proche d’un Sarkozy dont le silence est considéré comme une marque de mépris par les Guadeloupéens. Ensuite, le Moule se trouve très près de la ville de Petit-Canal où huit jeunes ont été emprisonnés la semaine dernière après qu’on les a accusés d’avoir incendié la Maison des Citoyens de leur commune. Beaucoup ne croient pas à leur culpabilité et c’est là une source de tension supplémentaire. Ensuite, concernant les négociations, elles sont au point mort : Yves Jégo, après un crochet par la Martinique, est reparti en métropole sans prévoir de revenir. Il a prévenu aujourd’hui qu’il comptait « faire respecter le droit en Guadeloupe », et qu’il ne tolérerait plus les fermetures de commerces pratiquées par les membres du LKP. De fait, aujourd’hui, alors qu’ils s’étaient faits très discrets depuis deux semaines, on commence à revoir un peu partout les mamblos, comme on appelle ici les policiers anti-émeutes. De nouveaux renforts sont arrivés de métropole hier renforcer ceux déjà très nombreux débarqués par charters entiers depuis des semaines.


3° Répression annoncée

En partant, Yves Jégo a laissé deux négociateurs imposés par François Fillon : le directeur adjoint du travail, et le directeur général du travail d’Aquitaine… Les délégués du collectif ayant constaté leur méconnaissance du terrain et des spécificités guadeloupéennes ont interrompu les négociations. Ils exigent que l’Etat tienne la promesse faite par Yves Jégo le dimanche 8 février : 108 millions d’euros de cadeaux fiscaux aux patrons pour leur permettre d’augmenter les bas-salaires. Dans le même temps ils fustigent le patronat qui, sans l’aide de l’Etat, propose d’augmenter les salaires de seulement 1,6%. Cette proposition est prise comme une provocation quand on sait à quel point les richesses sont mal réparties en Guadeloupe et l’urgence de rétablir un certain équilibre pour enrayer le profond malaise social. Sur les médias, Yves Jégo reconnaît que les rapports sociaux au sein de la société guadeloupéenne sont ceux d’un autre siècle mais dans le même temps, il lance des signaux très clairs : le gouvernement est prêt à utiliser l’appareil répressif de l’Etat pour faire respecter le droit. Ou comment le droit se met au service d’une minorité qui a fait fortune avec l’esclavage, concentre l’essentiel de la richesse entre ses mains et continue à exploiter les descendants d’esclaves avec une arrogance et une inflexibilité rare, même si tous les békés ne sont pas à mettre dans le même sac.


4° Les derniers maîtres

Ce soir, le collectif a invité les grévistes a venir voir sur écran géant au palais de la Mutualité, l’excellent documentaire passé sur Canal + : "les derniers maîtres de la Martinique". Ce documentaire en soi est une bombe parce que ce qu’il y révèle est proprement révoltant et que ça s’applique tout aussi bien à la Guadeloupe (article à venir). Mon voisin qui en rentre à l’instant vient de me dire son étonnement de voir comment la foule massée en plein air pour regarder la projection, n’a pas bougé pendant les averses qui se sont abattues sur elle.


5° Gardes blanches

Hier, Yvelise Boisset, journaliste de Canal 10, une télé locale, a lu un message qui circule, appelant les patrons à s’organiser eux-mêmes pour assurer la défense de leurs commerces. Cet appel à la création de milices, de gardes blanches prise très au sérieux ici, fait peser le risque que ça dégénère en guerre civile. Elie Domota, porte-parole du LKP a rétorqué solennellement que si un manifestant du LKP était abattu ou même seulement blessé, il y aurait des morts.


6° Samedi ou lundi ?

La conjonction de tous ces éléments, l’Etat qui montre les dents, l’arrogance des grands patrons, la volonté de créer des gardes blanches, la symbolique de la date et du lieu de la manif, et surtout le blocage complet des négociations après 24 jours d’une grève générale très éprouvante sans qu’on voit à travers un dialogue maintes fois interrompus par l’Etat, de perspectives, tout cela crée un énorme regain de tension. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai entendu « ça va péter » aujourd’hui. Avec des variantes quant au jour de l’explosion. Les uns penchant pour demain au vu de toutes les raisons que je viens d’évoquer, les plus optimistes tablant sur le lundi, si au sortir de la prochaine réunion prévue avec les socioprofessionnels, rien d’acceptable ne permettait de sortir de cette crise.


7° Une situation sociale explosive

L’Etat et le patronat qui ont fait le pari du pourrissement de la situation sont donc sur le point de voir leur absence d’efforts récompensée. Mais c’est un pari très dangereux. La situation sociale en Guadeloupe est véritablement explosive et le peuple a montré qu’il était massivement derrière les justes revendications du LKP. Tout le monde a été étonné par le soutien populaire autour du mouvement, qui n’a fait que se renforcer au fil du temps comme l’ont démontré des manifestations de plus en plus massives, atteignant des dimensions jamais vues en Guadeloupe. Lors de ces manifestations, et ce, grâce à un service d’ordre très conséquent, aucune violence, ni dégradation n’a été commise sur les parcours des dizaines de milliers de grévistes. Il est vraiment dommage que le gouvernement et les grands patrons n’aient pas été à la hauteur de cette mobilisation en tous points remarquable et historique, par son ampleur, par l’unité qu’elle démontre, par sa maîtrise et par sa volonté profonde de changement. Les uns et les autres illustrent la devise énoncée il y a peu par Sarkozy "j'entends, mais je ne tiens pas compte". Fermer toutes les portes en ne donnant aucune chance à un dialogue sérieux d'aboutir, risque d'ouvrir la porte de la violence...


8° Métros dans la lutte.

Dans tout ça, demain matin, samedi, avec quelques amis métropolitains rencontrés dans les manifestations sous différentes bannières ou sur les barricades, nous appelons les métros solidaires avec le LKP à se rassembler à la Kaza, sur la Jaille. Il ne s’agit pas de créer une quelconque organisation mais de lancer une véritable dynamique pour que les métros, trop peu nombreux sur le terrain, dans les manifs, rejoignent la lutte au côté de nos frères de couleurs. Nous voulons renforcer le mouvement par notre présence. Il est aussi important que la population ne croie pas que tous les blancs sont pour le gouvernement et les grands patrons, car cet amalgame en plus d’être erroné pourrait s’avérer catastrophique. En un mot, nous ne voulons pas que ce conflit éminemment politique et social, puisse à l’occasion d’une prévisible radicalisation de part et d’autre, virer à un affrontement racial.


Frédéric Gircour