jeudi 19 février 2009

La mort de Jacques Bino

ABATTU A POINTE-A-PITRE


1° Sur les lieux

Ce matin, en me réveillant au local de la CTU, après une nuit mouvementée, j’apprends la nouvelle : hier soir un syndicaliste de la CGTG, Jacques Bino, membre du LKP et du groupe culturel Akyo, a été abattu dans sa voiture alors qu’il rentrait avec un ami du meeting du LKP à la Mutualité. Tout de suite, j’entends parler de balle perdue. Au local de la CTU se trouve l’ami Nanette, président de l’association des locataires de la cité Henri IV, où Bino a trouvé la mort. Il se propose de m’accompagner sur place.


Cité Henri IV (photo FG)

Il a le souci de ne pas stigmatiser ce quartier, certes populaire et qui rencontre des difficultés sociales mais qui n’est pas le coupe-gorge que les médias à sensation dépeignent. L’ambiance est tendue sur place, les visages graves. Nanette accorde une interview aux journalistes de France2.


Cité Henri IV (photo FG)


A quelques pas de là où Jacques Bino est tombé, ironie de l’histoire, se trouve l’appartement où vivaient les parents de Jacques Nestor, grande figure syndicaliste, tué par les gendarmes lors de la répression de 1967.


Appartement des parents de l'autre Jacques, Nestor, en vert-pomme au-dessus de la clim (photo FG)


2° Deux heures à se vider de son sang

Jacques Bino faisait demi-tour, hier soir, à un barrage érigé par les jeunes du quartier quand une balle l’a atteint au thorax. Les pompiers, prévenus aussitôt, ont refusé de se déplacer sans la protection de la police, laquelle a déclaré être trop occupée. Les secours sont arrivés après plus de deux heures.


Jacques Bino


Pendant ce temps, Jacques Bino s’est vidé de son sang sous le regard impuissant de son ami, qui était sur le siège passager lors du tir.


3° Une situation explosive

Tout le monde a aussitôt montré du doigt les jeunes. Il faut répéter qu’il y a toute une jeunesse en Guadeloupe qui n’a aucun avenir. Près d’un jeune sur deux, ici, est sans-emploi. Cela crée une situation sociale explosive et la violence était latente bien avant la création du LKP.

Bijouterie dévalisée par les casseurs (photo FG)


Lorsque la grève générale a commencé, certains jeunes ont brûlé des poubelles, quelques voitures, comme je l’avais souligné dans un article, il y a un mois. Depuis, le LKP avait réussi à temporiser, à les calmer, à les persuader de respecter l’esprit pacifique et déterminé du LKP. Seulement voilà, ils ont vu toutes les portes du dialogue se fermer les unes après les autres, le gouvernement revenir à plusieurs reprises sur sa parole, et surtout les gendarmes mobiles faire usage d’une violence brutale avec des insultes racistes à l’encontre de manifestants pacifistes qui tentaient de fuir la répression.


4° Une politique pyromane

Il est évident que gouvernement et patronat portent une lourde responsabilité dans l’explosion des violences urbaines. Cela fait longtemps que sur Chien Creole, je dénonce cette logique du pourrissement, les risques qu’il y a à jouer avec le feu, l’irresponsabilité de Nicolas Sarkozy dans ce dossier. Aujourd’hui, la jeunesse la plus radicale n’écoute plus le message du LKP appelant à renforcer la mobilisation sans répondre aux provocations policières.

Des survols incessants (photo FG)

Ce ne sont pas des manifestants du LKP qui se livrent aux exactions que l’on peut constater aujourd’hui. Le LKP a, au contraire, tenté de trouver des solutions pour que cette jeunesse marginalisée trouve une place et un avenir dans cette société et pour éradiquer à la racine les conditions objectives qui motivent cette violence. Pour l’heure, la seule réponse de Mme Alliot-Marie, ministre des DOM-TOMs (Jégo n’est que secrétaire d’Etat) est de renvoyer après ce drame, encore quatre escadrons de gendarmes en Guadeloupe. Voilà une mesure qui devrait faire plaisir à son gendre béké mais qui n’est certainement pas de nature à calmer la situation ici. Il faut le dire et le répéter à tous les médias : ce qui se passe ici n’est pas un combat racial, les violences urbaines doivent cesser mais il est de la responsabilité de l’Etat et des patrons d’apporter les réponses politiques et sociales que toute la Guadeloupe attend, y-compris la majorité de ceux qui n’approuvent pas les méthodes de la grève.


5° Des conclusions trop rapides

Cela dit s’il est vrai que certains jeunes se sont livrés à des actes de violence aveugle de nature à porter atteinte à la vie d’autrui, et même s’il est fort probable qu’un d’entre eux ait appuyé sur la gachette de l’arme qui a tué Jacques Bino, les conclusions des uns et des autres sont un peu trop rapides et légères en l’absence des conclusions de l’enquête.

Douille retrouvée dans les rues de Pointe-à-Pitre (photo FG)


D’autres pistes ne sont pas à exclure, telles que la bavure policière, même si cette thèse paraît plus improbable à priori. Seule une enquête sérieuse menée sous le contrôle d’une organisation internationale des Droits humains, pour en garantir l’objectivité, pourra désigner le responsable de cet assassinat.


6° D’autres pistes

Le procureur a déclaré dès hier que la balle utilisée était de type brenneck. Une expertise balistique, même sommaire avait-t’elle déjà eu lieu ? Les balles brenneck sont utilisées pour la chasse au sanglier ; on imagine mal la police les employer. Mais ça pose une autre question : peut-on se procurer ces munitions en Guadeloupe où il n’existe aucun gros gibier ? Les trouve-t’on dans les îles voisines ? Je n’ai pas de réponse à cette question et comme les armureries, à l’instar de tous les commerces, sont fermées ; il m’est impossible de vérifier ce point. Si quelqu’un peut m’apporter des éclaircissements, qu’il n’hésite pas à me contacter. L’UGTG, sur son site évoque une autre piste. « Jacques travaillait depuis quelque temps sur un dossier mettant en cause des personnalités ayant des fortunes mal acquises ou non déclarées... » Rappelons que le syndicaliste travaillait aux impôts.


7° Le meilleur hommage

En attendant les résultats de l’enquête, que l'un d'entre eux soient coupable ou non, il faut maintenant que les jeunes se ressaisissent. Les actes de violence commis font le jeu des ennemis du mouvement. Ils désignent le LKP comme un mouvement violent et en profitent pour tenter de discréditer la légitimité populaire dont il jouit tout en occultant les questions sociales. Chien Créole et tous ses lecteurs présente ses sincères condoléances aux membres de la famille et aux proches de Jacques Bino.

Militant CGTG, ce matin (photo FG)


Le meilleur hommage que l’on puisse lui rendre est de poursuivre son combat, avec calme et détermination comme lui-même l’a toujours fait.


8° Prendre en compte la jeunesse

Jean-Marie Nomertin, dirigeant de la CGTG (photo FG)

Après être passé avec les camarades de la CTU au local de la CGTG qui se trouve également dans la cité de Bergevin, pour apporter un soutien militant aux cégétistes, j’assiste pour Chien Créole à la conférence de presse à la mutualité, aux côtés de tous les journalistes des médias locaux et internationaux. Nous commençons par respecter une minute de silence en hommage à Jacques Bino.


Minute de silence à la Mutualité en hommage à Jacques Bino (photo FG)


Puis Nomertin et Domota demandent une enquête et reparlent des zones d’ombre dans cette affaire. Ils rendent hommage à leur camarade tombé, d’une grande discrétion et d’une grande générosité, très impliqué dans le LKP. Revenant sur les propos de Victorin Lurel, président de région, qui fait porter au LKP la responsabilité de cette mort, Domota assène : « Lurel a délibérément craché sur le LKP alors que c’est lui le premier qui a demandé la répression des syndicalistes. » Il rappelle à tous les donneurs de leçons que c’est bien avant qu’il fallait écouter ce que dit le LKP et à quel point il est important de s’occuper de cette jeunesse guadeloupéenne à l’abandon. Il refuse de la stigmatiser et tout en appelant au calme, pointe du doigt la violence comme étant le fruit de la misère et de la désespérance. En même temps il demande aux journalistes dans quel pays développé, il aurait été possible de faire descendre pendant un mois des dizaines de milliers de personnes dans la rue sans le moindre débordement, dans une situation sociale aussi dure. Dans une interview récente, il rappelle que les Grecs ou les jeunes des banlieues dans l’Hexagone, sont très loin d’avoir eu cette patience, cette discipline.


9° Appel au calme

Avec la même force il condamne l’attitude de mépris du gouvernement et des socioprofessionnels qui après un mois avec tout le monde dans la rue, n’apportent aucune solution pour sortir de cette crise.

Elie Domota rappelle en outre qu’on ne peut pas dissocier les évènements de la nuit dernière avec ce qui s’est passé au Gosier lundi (tabassage d’Alex Lollia et insultes racistes).


Elie Domota pendant la conférence de presse à la Mutualité (photo FG)


Revenant ensuite à Jacques Bino, il fait un parallèle avec Balagne, syndicaliste mortellement fauché par une voiture après deux mois de grève, en 1977. « En Guadeloupe, il est lamentable qu’il faille qu’il y ait du sang versé dès qu’un problème social est posé. » regrette encore le porte-parole du LKP. En conclusion, il appelle les jeunes des barricades à retrouver leurs esprits, à se calmer, se maîtriser. « La logique du LKP est de manifester sans violence. » Il précise avoir fait déjà passer ce message sur les ondes et avoir envoyé des membres du LKP sur les barrages pour parler aux jeunes. Des rassemblements sont prévus sur Pointe-à-Pitre en hommage à Jacques Bino.


Frédéric Gircour (trikess2002@yahoo.fr)