mardi 3 février 2009

analyse


REFLEXION AU 15ème JOUR DE GREVE GENERALE EN GUADELOUPE


1° Réouverture des stations services

Aujourd’hui, les stations services ont dans leur majorité réouvert en Guadeloupe. Nous sommes peut-être à un tournant de la grève générale qui anime notre archipel depuis le 20 janvier. La grève des stations services de Guadeloupe a commencé le 19 janvier, soit un jour plus tôt que la grève générale dans laquelle elle ne s’inscrit pas. Ce sont les gérants qui ont décidé de protester contre l’implantation de nouvelles stations. Ce mouvement a rencontré une adhésion parmi les travailleurs essentiellement pour deux raisons :

- La première étant que la Guadeloupe a jusqu’à présent pu sauvegarder plus de mille emplois de pompistes. L’introduction massive de pompes automatisées telle qu’elle est prévue préfigurerait la perte de leur emploi pour ces travailleurs à moyen terme, dans un contexte social déjà ravagé par un taux de chômage bien plus élevé qu’en France métropolitaine. On peut hausser les épaules et se dire qu’on ne peut rien contre la marche du progrès. En l’occurrence, est-ce vraiment un progrès ? Ce millier de personnes qui apportait un service coûtent selon les estimations, quatre centimes par litre au consommateur. Sans même parler du drame humain pour ces travailleurs et leurs familles, combien cela coûtera-t’il au contribuable de financer les indemnités de chômage puis du RMI à des gens qu’on va sciemment priver de leur emploi. Economiquement, socialement et humainement, je ne pense pas que ce soit un bon pari sur le futur. Il s’agit donc ni plus ni moins que de maîtriser son avenir et de réfléchir à l’intérêt du plus grand nombre. Maintenant, ces travailleurs sont des travailleurs précaires et mal payés. Ce n’est pas parce que leurs patrons ont trouvé un accord avec M. Jégo, secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer, qu’ils ne vont pas continuer la lutte dans le cadre de la grève générale.

- Le second point pour lequel les grévistes appuyaient le blocage des stations est bien sûr que sans essence, il est impossible d’aller travailler. Or comme en 95 en France, le moyen de faire céder le patronat et le gouvernement consiste à paralyser l’économie. Dans un monde parfait, on ne devrait pas à avoir à faire ça. Patrons et gouvernements, respectueux du dialogue et de la justice sociale, ne devrait pas plonger la population dans des situations aussi dures que celles que vit, entre autres, la Guadeloupe, ni être autiste à ses demandes. Hélas, nous sommes gouvernés par des gens qui se font une curieuse idée de la démocratie, qui ironisent comme par provocation sur le fait qu’en France, on ne remarque même plus les grèves, et qui, s’agissant de revendications sociales légitimes fanfaronnent « j’écoute mais je tiens pas compte ». Ils considèrent que la démocratie c’est se faire élire une fois tous les cinq ans avec de belles promesses, sur le pouvoir d’achat, notamment, et avoir ensuite carte blanche pour faire ce qu’ils veulent.


2° Une société basée sur des rapports de force

Hélas force est de constater que la société dans laquelle nous vivons ne fonctionne que dans le rapport de force. Dans un excellent article paru dans le monde diplomatique de janvier 2008, François Ruffin expliquait comment en 20 ans, « la part des salaires dans le Produit Intérieur Brut (PIB) français a baissé de 9,3%, ce qui correspond à plus de 100 milliards d’euros en partie transférés vers le capital » Ce sont des chiffres donnés par la BRI, Banque des Règlements Internationaux, une institution qui réunit chaque mois, à Bâle (Suisse), les banquiers centraux afin de « coordonner les politiques monétaires » et d’« édicter des règles prudentielles ». Ce détournement massif de fonds est possible en partie par le chantage au chômage exercé par les patrons, les menaces de délocalisations, la précarisation des travailleurs et la casse du code du travail. Voilà un rapport de force aux conséquences sociales ressenties par les salariés comme une véritable violence. Certains ont été jusqu’à parler du hold-up du siècle ! A l’inverse, souvenons-nous que quasiment tous les acquis sociaux que nous avons obtenu n’ont pu l’être que dans l’exercice de ce rapport de force, cette fois en faveur des travailleurs : pour exemple, la semaine de 40 heures au lieu de 48 avec les premiers congés payés est souvent attribuée au Front Populaire, certes. Mais Léon Blum y a été poussé par une grève rassemblant des millions et des millions de travailleurs. La revalorisation de 30% du SMIC, obtenu en 1968 avec les accords de Grenelle auxquels tout le monde fait allusion aujourd’hui, n’était pas non plus un cadeau fait aux travailleurs, ça a été arraché de haute lutte. Donc, ne pas avoir conscience de cet état de fait, même si on le déplore est méconnaître le fonctionnement réel de notre société. Paralyser l’économie est la seule arme pacifiste dont disposent les travailleurs pour se faire entendre. Les beaux discours font sourire les patrons, il faut frapper là où ça fait mal, le porte-monnaie, la seule chose qui les intéresse.



3° Droit de grève versus droit de travailler


30 000 manifestants dans les rues de Pointe-à-Pitre, vendredi 30 janvier 2009, historique (photo FG)


Paralyser l’économie, très concrètement, c’est avant tout refuser de travailler, faire grève. C’est notre force de travail qui produit la richesse qui va avant tout enrichir une minorité. Si l’on s’arrête de travailler, patrons et actionnaires cessent de s’enrichir, perdent de l’argent et sont plus réceptifs aux préoccupations des travailleurs, curieusement. Le droit de grève est reconnu par la loi française. Il en a fallu des combats et des morts pour faire reconnaître ce droit. Aujourd’hui que les gens vont à nouveau pouvoir circuler librement, peut-on, doit-on tenter d’entraver cette liberté, en a-t’on le droit ? Certains crient déjà au terrorisme : « nous respectons le droit de grève mais nous entendons que le droit à travailler de nos employés non-grévistes soit respecté » écoute-t’on souvent. Encore une fois, dans un monde parfait, cet argument serait parfaitement recevable. Mais quelle est la réalité du droit de grève. De plus en plus, le travail se précarise et je ne parle pas seulement de salaires insuffisants. Les Contrats à Durée Indéterminés, CDI, se font de plus en plus rares, alors qu’augmente toujours plus la proportion de Contrats à Durée Déterminée, CDD, les missions interims, etc. Très concrètement, la loi autorise ce type de salariés à faire grève mais l’employé sait lui, que s’il fait grève, son contrat a toutes les chances de ne pas se voir renouveler ou qu’il se retrouvera sur un liste noire et que les agences d’interims n’auront plus rien à lui proposer. Voilà qui relativise formidablement le sacro-saint droit de grève et la notion même de liberté. Fermer par la force des entreprises, comme l’UGTG, le syndicat majoritaire en Guadeloupe a coutume de le faire, installer des barrages, empêcher la distribution d’essence, paradoxalement, libère une partie des salariés du chantage exercé par leur patron et leur permet effectivement de pouvoir faire grève, manifester, sans être inquiéter, ce que la loi, à elle seule ne peut garantir.


4° Pour un véritable respect

Naturellement, ni le chantage patronal, ni les méthodes musclées de certains syndicalistes ne correspondent au respect que chacun aimerait avoir dans cette société. Voilà pourquoi la plateforme de revendications du collectif LKG (Liyannaj Kont Pwofitasyon) propose la " limitation du CDD à 6 mois renouvelable une fois", avec "à l’issue du renouvellement, embauche du salarié " ainsi que la « limitation du recours aux société d’interim à 5% des contrats du secteur marchand ». Cela devrait permettre de garantir un respect réel du droit de grève qui ôterait à l’avenir toute légitimité à des actions contraignantes à l’égard des non-grévistes.
5° Comment réagir sans tomber dans les pièges tendus
Arc-en-ciel syndical, place de la victoire (photo FG)

Revenons-en à demain. La réouverture des stations place le collectif LKP devant un dilemme : rester les bras croisés et voir les catégories les plus fragiles, les plus exposées, de travailleurs, contraints de reprendre le chemin du travail alors même que nous n’avons encore rien obtenu de concret ou bien s’opposer à la distribution de l’essence et risquer de diviser la population qui soutient massivement le mouvement jusqu’à présent comme les précédentes manifestations l’ont démontré sans appel ? Si les manifestants bloquent les stations, il y a fort à parier que l’état aura recours à la répression violente. Si les pompistes d’eux-mêmes ne décident pas demain de poursuivre la grève, nul ne peut présager de ce qui va se passer en Guadeloupe mais on peut craindre que le rapport de force si favorable au collectif risque de s’affaiblir. C’est précisément ce que l’Etat cherche à la veille de la reprise des négociations selon une méthode qu’il entend imposer. Alors que nous sommes parvenus par notre mobilisation à obliger M. Jégo à venir négocier directement avec nous, il serait désastreux au terme de 15 jours de grève générale, 15 jours de sacrifices, de relâcher la pression qui seule nous permet de nous faire entendre. Nous ne pouvons nous satisfaire des réponses apportées pour l’instant par les différents acteurs.


6° Provocation patronale

L’Etat propose une baisse des charges pour permettre aux patrons d’augmenter les salaires. Autrement dit, c’est encore une fois avec notre argent, celui du contribuable que les patrons vont faire un effort. Ces mêmes patrons ont présenté hier, 2 février, 13 résolutions parues dans le France Antilles, le quotidien de la presse locale. Curieux de voir quelles solutions ils proposaient pour résoudre la crise, j’ai acheté le journal. Pas la moindre proposition de leur part ne figurait parmi ses résolutions, seulement des demandes et des exigences (l’ouverture des stations services, le report du règlement des charges sociales et fiscales, la suppression de la taxe sur les transports versée par les entreprises, de certaines taxes sur l’investissement et les salaires, par exemple). Ils condamnent « les actes de violence » et finissent de sombrer dans le ridicule en exigeant de la région qu’elle alloue un budget supplémentaire pour que les jeunes aillent se former en Europe. Pas le moindre geste de bonne volonté. Ils demandent à bénéficier de prêts exceptionnels, souhaitent la suppression de la TVA, mais aucun effort n’est consenti par eux. Et ils osent sans rougir présenter ces résolutions, comme contribuant à « la hausse du pouvoir d’achat ». C’est vraiment se moquer du monde quand on sait la responsabilité énorme qu’ils ont dans la crise actuelle… Certaines petites entreprises sont effectivement dans une situation difficile, le secteur de l'hôtellerie en grande partie aussi mais les grosses pointures résistent avec arrogance et mépris.
Au-delà du changement de statut

Cela me fait penser à la position d’Hayot, une des toutes premières fortunes de France, lors de la grève de 2005 qui avait paralysé le Carrefour de Destreland lui appartenant pendant un mois et demi pour demander une dérisoire augmentation de salaire et des tickets restaurants. Il n’avait cédé sur rien et les employés avaient du se résigner à lever le blocage et reprendre le travail.
Tout le monde s’accorde à souligner que le statut actuel de la Guadeloupe ne permet pas de résoudre les problèmes que pose la population par l’intermédiaire du collectif. Sans nier que le changement de statut vers plus d’autonomie semble inéluctable, l’exemple d'Hayot m'inspire une autre réflexion : certains en Guadeloupe ont les reins tellement solides qu’on ne peut les atteindre, à peine les chatouiller. Pourquoi ? Parce qu’à l’image du capitalisme mondialisé, ils ont des intérêts dans le monde entier. Nous devons nous battre là où nous sommes et si nous sommes forts et déterminés, nous obtiendrons en partie gain de cause. Mais nous ne pourrons pas abattre des monstres comme les Hayot. A notre niveau local, nous ne pouvons pas faire grand-chose pour diminuer leur capacité de nuisance. Ce conflit, une fois de plus, démontre que les solutions ne sauraient être nationalistes: elles passent nécessairement par l’internationalisme, l’altermondialisme, la jonction des luttes à l’échelle de la planète.


FRédéric Gircour