mardi 21 avril 2009

Attaques tous azymuts contre la presse


LA LIBERTÉ DE (taper sur) LA PRESSE AUX ANTILLES


1° Le syndrome de l’usager pris en otage

Pendant la grève générale initiée par le LKP, on a pu lire ou entendre certaines personnes, ici ou là, s'indigner haut et fort de la position supposée de la presse, qui aurait été, selon elles, beaucoup trop complaisante envers les grévistes. Pensez donc, des journaux écrits ou télévisés qui, couvrant un conflit social, ne se contentaient pas de donner la parole aux usagers "pris en otage" mais avaient l'outrecuidance d'aussi s'intéresser aux raisons du conflit ! C'était totalement insupportable. Ça crevait les yeux : les journalistes étaient forcément sous la coupe de l'odieux chantage et des pressions du LKP !


2° Coyotes Vs terroristes

Ils ont été nombreux, à commencer par Mme Alliot-Marie, ministre responsable (sic) de l'Outre mer, à hurler comme des coyotes écorchés (j'aime bien cette expression !) pour s'offusquer de l'inadmissible atteinte à la liberté de la presse lorsqu'une délégation du LKP s'est rendue à RFO pour demander un temps d'antenne (attention, Chien Créole n'est pas en train de traiter Madame le Ministre de coyote, écorché ou non., que ce soit bien clair. C'est qu'il faut être prudent par les temps qui courent... Incitation à la haine contre les coyotes, c'est un coup à obtenir l'arrêt de Chien Créole !). MAM, n'écoutant que son courage, a même menacé ces terroristes du LKP de poursuites ! Toujours est-il que ces vaillants défenseurs de notre presse libre, si prompts à monter dans les aigus, sont étrangement silencieux contre d’autres atteintes à la presse qui se multiplient dangereusement, bien réelles celles-là.


(Nos amis Nicolas et Michèle - photo Bouchon / Figaro)


3° Une chaîne dérangeante

Canal 10 par exemple, s'est illustré par une couverture exceptionnelle du conflit social. Pour commencer, c'est cette chaîne locale, qui, avant les autres, a retransmis les premières négociations au WTC de Jarry en quasi direct, obtenant que tous les médias puissent finalement diffuser les débats en vrai direct pendant quatre jours. Ensuite Canal 10, en filmant les manifestations, toujours en direct, sans rien couper, a montré de façon incontestable si besoin était, l'incroyable mobilisation populaire dont jouissait le mouvement avec à chaque fois plusieurs dizaines de milliers de personnes de tous âges et toutes conditions, dans la rue. Filmant les affrontements avec la police, elle a incidemment pu montrer en direct comment cette dernière pouvait être mise en difficulté au point de déguerpir devant des émeutiers très déterminés. Enfin, Canal 10, au même titre qu'elle recevait les entrepreneurs, donnait volontiers la parole aux délégués du LKP. C’est plus que le pouvoir ne pouvait en supporter.


4° Au commissariat

Jugeant certains propos d’Elie Domota, prononcés sur le plateau de Canal 10, inacceptables, la police a fait une descente pour saisir les bandes incriminées et Rodriguez, le directeur de la chaîne, ainsi qu'Yvelise Boisset qui présente une émission très suivie, ont été convoqués au commissariat. Trois longues heures à être interrogés, comme des délinquants, entre autres sur leur pratique professionnelle ou, comme l'a rapporté Yvelise Boisset, à être sommés de répondre sur les éventuelles arrières-pensées de Domota !


5° Explication de texte pour les cons

Toujours est-il que cette intimidation en règle du pouvoir contre la presse n'a pas entraîné de réaction outrée de Madame Alliot-Marie. Suis-je bête, j’en oubliais presque, vu son action prépondérante et courageuse dans les crises qui ont secoué les Antilles, qu’elle n’est pas que ministre responsable (resic) de l’Outre-mer, mais aussi ministre de l’intérieur. Les policiers qui ont convoqué Rodriguez et Boisset étaient donc sous ses ordres. Diantre ! Ainsi donc, quand le LKP, émanation de la société civile guadeloupéenne, demande à s’exprimer sur la télévision publique guadeloupéenne, la presse est en danger. Par contre quand la police exerce des pressions intimidatrices sur des journalistes qui font leur boulot, c’est pour le respect de la démocratie. Heureusement que Chien Créole est là pour l’expliquer à ses lecteurs, qui, il faut bien le dire, ont tendance, des enquêtes le prouvent, à être un peu cons… De rien, chers lecteurs, nous sommes là pour ça !


6° Du bon usage de la pub

Autre exemple assez parlant : RCI, Radio Caraïbes Internationale a été l’objet de chantage de la part des gros annonceurs de la station. Soit Thierry Fundéré, son rédacteur en chef, était viré, soit la radio serait asphyxiée économiquement puisque les gros entrepreneurs retireraient leur budget publicitaire, sans lequel RCI, station privée, ne peut évidemment survivre. Il était reproché à RCI sa tonalité jugée trop favorable au LKP. Après certaines tergiversations, la direction de RCI n’a pas cédé et la menace a été mise à exécution. Quoique très affaiblie, la station a survécu à la tempête. Il n’empêche, il est intéressant de constater l’idée que les gros entrepreneurs, responsables de ce chantage, se font de la liberté de la presse. La publicité n’est pas pour eux qu’un moyen de nous laver le cerveau en tentant de nous convaincre d’acheter des choses dont nous n’avons pas besoin ; non, c’est aussi et surtout un moyen de contrôler l’information et de sanctionner les intrépides qui refuseraient, dans leur ligne éditoriale, de leur servir la soupe. C’est parfaitement légal mais ça pose de façon éclatante la question de la liberté de la presse dans le système capitaliste. Quand on sait, qui plus est, qu’en France, pour prendre l’exemple de la presse écrite, il n’y a plus que le Canard enchaîné et les frères ennemis Charlie et Siné hebdo qui ne soient pas dans les mains des grands groupes du CAC40 ou des marchands d’armes, on peut légitimement s’inquiéter pour la liberté de la presse.



7° « La pieuvre a tué le calmar »

Dernier exemple en date aux Antilles françaises, le petit journal satyrique de l’île de St Martin, le Calmar déchaîné(1), vient d’annoncer qu’il mettait un terme à sa parution mensuelle. Raisons invoquées pêle-mêle : menaces et pressions diverses, procès intentés pour diffamation, etc. Dans un billet laconique, le calmar dénonce un climat de violence sur l’île, avec notamment la « sauvage agression » subie par Thomas Krider, directeur des programmes de la principale radio de St Martin, qui dénonçait « le développement à outrance de notre île et en particulier de l’Anse Marcel. » Amère, l’équipe du Calmar conclut son billet d’adieu du 18 avril 2009 par ces mots : « A la lumière des dernières pressions subies, nous comprenons désormais mieux pourquoi la presse locale est si consensuelle avec les « pères » de St Martin ; ces personnages trop influents et au-dessus des lois qui font encore la pluie et le beau temps sur ce qui peut ou non être publié. »


8° Sarkozy et la presse

Pour l’heure, aucune réaction officielle du côté du cabinet de Michèle Alliot-Marie, certainement un petit contretemps. Au niveau national, ce n'est guère mieux : beaucoup s’inquiètent de ce qu’ils perçoivent comme une mise en coupe réglée de la presse, depuis l’arrivée d’un certain Sarkozy aux manettes. Les motifs d'inquiétude sont nombreux, citons pour mémoire :

- Une dépendance accrue de la presse écrite vis-à-vis des annonceurs, du fait de la crise qui l'affaiblit ;

- Le renvoi d’Alain Genestar, rédacteur en chef de Paris Match, pour avoir osé publier une photo de Cécilia au bras de Richard Attias, qui a déplu a déplu à un Nicolas Sarkozy fraichement élu ; le ton était donné ;

- Un président de France Télévisions directement nommé par notre cher président de la République;

- La nomination annoncée à la tête de France Inter d’un Philippe Val qui va se faire un plaisir de dégommer les Guillon, Porte, Mermet, etc. jugés bien trop insolents par le pouvoir. Ils critiquaient d'ailleurs de longue date les dérives droitistes et autocratiques du patron de Charlie Hebdo. Ce porte-flingue du gouvernement pourra agir avec d’autant plus de facilité que beaucoup le croient encore de gauche. Ça ne passera donc pas pour un règlement de compte politique. Bien vu, président !



9° Chien Créole serre les fesses !

Bref, suite à tout ça et depuis la garde-à-vue de cinq heures et le toucher rectal infligé fin novembre 2008 à Vittorio de Filippis, ex-directeur de publication de Libération, Chien Créole serre les fesses et se dit que, dans ce climat étouffant, chaque article est peut être le dernier avant qu’on essaye de le museler. Remarquez, on peut aussi voir les choses du bon côté et se dire que les intimidations qui pourraient s'exercer donneraient lieu à un très bel article (peut-être le pullitzer au bout...) et qu'un blog fermé, ça renaît bien vite de ses cendres sous un autre nom, fort de ce petit coup de pub !


FRédéric Gircour (trikess2002@yahoo.fr)


(1) Chien Créole ne partage pas un grand nombre des analyses du Calmar, notamment ses critiques répétées contre le LKP. Néanmoins, défendre véritablement la liberté de la presse, c’est aussi défendre la diversité d’opinions. Et puis le Calmar avait en commun avec Chien Créole le fait de ne pas mettre de pub sur son site, ce qui en soi, me le rend plutôt sympathique. http://lecalmar.over-blog.com/