mercredi 8 avril 2009

Contre-enquête


Avertissement : attention, cet article comporte des éléments susceptibles de choquer les lecteurs, âmes sensible s'abstenir.


CONTRE-ENQUÊTE :

L’AFFAIRE LAUTRIC, UNE AFFAIRE GÊNANTE POUR LE POUVOIR ?


Jimmy Lautric a 32 ans. Depuis plus d'un mois-et-demi, il est cloué sur un lit d’hôpital après avoir été très sérieusement blessé par balle à la jambe, le soir où jacques Bino a été assassiné.


1° Quelques minutes de plus et il serait mort

Pointe-à-Pitre, le 17 février au soir, Jimmy et Jacques Bino sont tous deux dans la foule qui assiste au meeting que le LKP tient devant le Palais de la Mutualité.


Jacques Bino (photo extraite du blog de la CGTG)


Ils ne se connaissent pas. Alors qu’il rentre chez lui un peu plus tard par le boulevard Légitimus, Jimmy observe un attroupement sur le trottoir d’en face, devant la bijouterie « Tout l’or du monde ». Curieux, il traverse le boulevard et s’approche. Alors qu’il n’est qu’à une petite vingtaine de mètres de la bijouterie, il entend une détonation dans son dos. Une balle de gros calibre vient de lui traverser la cuisse. « J’ai paniqué, j’ai retraversé le boulevard Légitimus en courant et je me suis réfugié dans la cité Henri IV, où je connais beaucoup de monde. » Il ne sait pas encore que Jacques Bino a été abattu dans cette même cité quelques instants plus tôt. L’artère fémorale sectionnée, il perd beaucoup de sang et s’écroule quelques dizaines de mètres après avoir été touché. Ce sont des amis qui le reconnaissent et le ramassent. L’un d’eux approche aussitôt son scooter, ils le hissent sur la selle et le conduisent aux urgences où il est immédiatement pris en charge. Quelques minutes de plus et il serait mort. A son arrivée au CHU, Jimmy avait perdu quatre litres de sang et n’avait plus que quatre de tension. Un vrai miracle qu’il soit toujours en vie. Si ses amis avaient traîné ou s’ils avaient préféré appeler une ambulance, il reposerait, à cette heure-ci, six pieds sous terre, car rappelons qu’à Henri IV, les pompiers ne sont arrivés auprès de Bino que trois heures après qu‘ils ont été appelés au secours.


2° Le casse de la bijouterie

Malgré l’omerta qui pèse sur ce qui s’est passé ce soir-là, Chien Créole a retrouvé des témoins qui assistaient en simples spectateurs au casse de la bijouterie et qui ont accepté de témoigner sans me donner leur nom. Selon eux, profitant du fait que le boulevard était bloqué, des jeunes s’en sont pris au rideau de fer de la bijouterie. Ce n’était visiblement pas des professionnels et il leur a fallu près d’une heure et demi pour parvenir à leurs fins !


Bijouterie "Tout l'or du monde" au lendemain du pillage (photo FG)


Ils essayaient de forcer le rideau avec un objet puis repartaient en chercher un autre; le tout sous le regard amusé d’une bonne centaine de badauds. « Ça se passait dans une ambiance bon enfant », me confiera un témoin.

Pendant ce temps-là, la police aurait essayé à plusieurs reprises d’accéder sur les lieux sans succès. Seule une ambulance du SAMU est parvenue à passer les barrages. Les pilleurs lui ont même fait de la place pour qu’elle tourne vers la cité Henri IV. Depuis un bon moment des échanges de coup de feu y avaient lieu entre des jeunes et des policiers de la BAC. Estimant que leur sécurité n’était pas assurée à l’intérieur, les urgentistes ont rebroussé chemin. La tentative d’incursion de ce véhicule du SAMU dans la cité donne à penser que Jacques Bino avait déjà été abattu depuis au moins une dizaine de minutes à ce moment-là.


3° Un commando que personne n’attendait

Quand enfin les casseurs improvisés ont réussi à éventrer le rideau de fer, certains se sont faufilés à l’intérieur. C’est alors qu’ils ressortaient les mains pleines qu’un premier coup de feu a retentit, certainement celui qui a atteint Jimmy à la cuisse, alors qu’il s’approchait. Tout le monde s’est retourné stupéfait et a découvert quatre hommes à moto, tous vêtus de noir de la tête au pied, armés de fusils à pompe. Un deuxième coup de feu a été tiré qui n’a pas fait de victime. Montrant beaucoup de sang-froid et de détermination, le commando a dépossédé les casseurs de leur butin, alors que les badauds se dispersaient, affolés, dans la nuit. Apparemment, ils n’auraient pas essayé de pénétrer dans la bijouterie; seuls semblaient les intéresser les objets déjà volés. Leur méfait commis, ils sont repartis à vive allure.


4° Une plainte déchirée

Jimmy reste sur la table d’opération pendant 6 longues heures, au cours desquelles les chirurgiens n’ont d’autres choix que de littéralement creuser en profondeur la chair à côté du tibia parce que certains muscles et nerfs sont morts qu’il faut retirer, sinon la jambe pourrait gangréner. Dès qu’il reprend connaissance, alors qu’il est encore à moitié dans les vapes, des policiers de la SRPJ demandent à l’entendre. Ils l’interrogent sur les circonstances de ce qui lui est arrivé et les liens éventuels qu’il pourrait avoir avec le pillage de la bijouterie. Suite à son insistance, les policiers enregistrent sa plainte à l’hôpital. Lorsque sa mère apprend que Jimmy a signé quelque chose alors qu’il subissait encore les effets de l’anesthésie, elle demande et obtient un récépissé de la plainte. Se produit alors quelque chose de peu commun. Le SRPJ reprend très vite contact avec elle et deux policiers la rejoignent au CHU où elle veille son fils. La plainte qu’il a déposée ne serait plus recevable, ils lui demandent de la déchirer. Finalement, c’est eux qui vont le faire. Le procureur, Jean-Michel Prêtre, interrogé par RFO sur ces méthodes pour le moins étonnantes, répondra confusément, que « s’ils sont avérés, les faits sont graves » sur la forme mais que sur le fond, il ne s’agit que d’un problème technique : le SRPJ n’était habilité à enquêter que sur l’affaire Bino.


5° Une extraordinaire coïncidence !!!

Maître Sarah Aristide, la jeune avocate qui représente Jimmy, ne partage pas l’analyse du procureur. Interrogée par Chien Créole, elle explique :

« Maître Ezelin, maître Chevry et moi-même considérons qu’il y a eu tentative de meurtre sur la personne de M. Lautric. Dès lors que la brigade criminelle se déplace, elle peut prendre en charge plusieurs affaires.

Maître Aristide (photo FG)


C’est le procureur qui détermine sa mission. A charge pour lui de leur dire d’enquêter aussi sur ce dossier. En tous cas, cette façon de faire n’est pas du tout ordinaire. » D’autant que les similitudes entre les deux affaires sont pour le moins troublantes. A ma connaissance, pendant les quarante quatre jours de grève générale, dont plusieurs ont été le théâtre de violences urbaines, les deux seuls cas de personnes touchées par des balles létales de gros calibre sont Jimmy et Jacques Bino. Par une extraordinaire coïncidence, ces deux personnes ont été touchées dans un périmètre de quelques dizaines de mètres à peine et à quelques dizaines de minutes d’intervalle semble-t-il. On ignore si la balle qui a traversé la cuisse de Jimmy était une brenneke, le calibre qui a tué Bino, et pour cause, la balle est ressortie. En revanche, lors d’une conférence de presse donnée le 27 février, à laquelle j’ai pu assister, le procureur de la République, lui-même, a déclaré que des douilles de brenneke, avaient été ramassées sur le boulevard Légitimus, le lendemain des faits. Or c’est précisément sur cette voie que Jimmy a été blessé. Il est donc pour le moins surprenant que le procureur ait choisi de séparer les deux affaires. Pire, le cas de Jimmy, à ma connaissance, n’a fait l’objet d’aucune enquête sérieuse, du moins pas avant qu’il ne soit médiatisé !


6° Des affaires qui disparaissent mystérieusement

En effet, après que la plainte déposée auprès de la SRPJ a été déchirée, il a fallu que la mère de Jimmy porte à nouveau plainte, cette fois auprès du commissariat de la police nationale, à Gambetta. A la suite de cette plainte, huit longs jours se sont écoulés sans que rien ne se passe. Ce n’est que lorsque RFO et France Antilles ont commencé à interroger le procureur, avant de révéler l’affaire que deux policiers, au neuvième jour, sont venus entendre Jimmy. Aucune expertise entre temps n’avait été ordonnée pour tenter de savoir s’il avait bien été victime d’une brenneke. Jimmy a juste su qu’il s’agissait d’une balle de gros calibre, comme la gravité de la blessure le laissait supposer. Or cette blessure a évolué, avec l’opération déjà ; à travers la cicatrisation qui a commencée, ensuite. Le type de poudre laissé sur le short de Jimmy et le diamètre de la perforation dans le tissu auraient peut-être pu donner de précieuses informations mais ce short a mystérieusement disparu. Le personnel du CHU a expliqué dans un premier temps à la mère de Jimmy qui demandait où étaient passées ses affaires, qu’ils les avaient gardées dans un endroit sûr, comme le prévoit la procédure pour les patients blessés par balle. Les affaires sont alors conservées afin d’être remises à la police. Or depuis, le short de Jimmy ainsi que son téléphone portable ou ses clés de maisons sont introuvables et aussi bien la police judiciaire, que la police nationale se défendent de les détenir; ils se renvoient la balle, si je puis dire. La femme qui était responsable des affaires au CHU, interrogée par la mère Jimmy, a affirmé à cette dernière avoir tout remis à des agents de la police nationale du commissariat de Gambetta.


7° S’en sortir

« Plus jeune j’ai fait des conneries, j’ai même fait de la prison. Ça m’a servi de leçon. Avant qu’on ne me tire dessus, j’avais un travail, j’y allais tous les matins. Je viens même de faire une formation pour être cariste: j‘avais trouvé quelque chose qui me plaisait. Tout ça ne s’est pas fait tout seul; j’ai fait des efforts. Aujourd’hui, on me tire dessus dans la rue, de dos, je ne sais même pas qui. Je ne récupérerai probablement jamais ma capacité à plier mon pied dans l’axe de ma jambe, les muscles releveurs ont été coupés. Je vais certainement devoir porter une atèle toute ma vie… Comme cariste, pour manipuler les engins, j’avais besoin de pouvoir plier mon pied ! Je ne sais pas ce que je vais faire maintenant.


En plus du trou laissé par la balle qui a littéralement traversé sa cuisse, voilà comment Jimmy est ressorti de la salle d'opération (photo Jimmy Lautric)


Ça fait un mois et demi que je croupis ici, je suis sous morphine mais certaines nuits, ma jambe me fait tellement mal que je n’arrive pas à dormir. Après ça, je vais devoir suivre une très longue rééducation». Son regard se perd dans ses pensées, Jimmy se referme.


8° Six questions qui dérangent

En conclusion, on peut dire que de nombreuses zones d’ombre demeurent dans l’affaire Bino comme dans l’affaire Lautric et la façon dont les enquêtes sont conduites soulèvent de nombreuses interrogations qu’on pourrait résumer ainsi :

1) Qui étaient les membres du commando qui a ouvert le feu sur Jimmy et frustré les pilleurs de la bijouterie "Tout l’or du monde" de leur butin ?

2) Les auteurs des coups de feu mortels contre Jacques Bino sont-ils effectivement les mêmes qui sont intervenus sur la bijouterie ?

3) Question en corollaire : pourquoi le procureur a-t’il choisi d’emblée de dissocier l’enquête sur Bino et celle sur Lautric, alors que les similitudes sont plus que troublantes : deux personnes blessées, dans un cas mortellement, par des balles de gros calibre, probablement des brennekes, dans un même périmètre et quasiment dans le même temps ?

4) Pourquoi le SRPJ a-t’il détruit avec tant d’empressement la plainte portée par Jimmy, refusant d’y donner suite et pourquoi la police nationale mettra-t’elle tant de temps pour l’auditionner ?

5) Où sont passées les affaires de Jimmy et surtout le short qui a été traversé par la balle et aurait pu apporter des éclaircissements dans cette affaire ?

6) Pourquoi depuis le courageux reportage de Lise Dolmart, journaliste à RFO, mettant en lumière ce qui est arrivé à Jimmy et dénonçant le fait que la plainte a été déchirée, la presse est-elle muette sur cette affaire ? Pourquoi se montre-t’elle si complaisante à l’égard des thèses du procureur et pourquoi aucun journaliste n’a-t’il osé relater l’intervention du commando ayant tiré sur la foule ce soir là (tout de même une centaine de personnes!)? Pressions, peur de représailles ou manque d’intérêt ?


FRédéric Gircour (trikess2002@yahoo.fr)