vendredi 8 mai 2009

du 7 mai 2009 au 6 février 1934


"COUP D’ETAT" EN GUADELOUPE (1)


A l’initiative de Jacques Gillot, président du Conseil Général, les élus de cette dernière institution et ceux du Conseil Régional étaient conviés à un congrès, ce jeudi 7 mai pour réfléchir à un nouveau "modèle de société" pour la Guadeloupe. Sorte de contre-sommet, pendant des états généraux, ce congrès, qui a au moins le mérite de ne pas avoir été commandité depuis Paris, est en fait surtout censé permettre aux élus locaux de reprendre la main politique. Il faut dire qu’ils n’ont pas été épargnés par le séisme qu’a constitué le LKP et qui a mis à nu toutes les carences et incohérences du système : leur crédibilité a été sérieusement ébranlée. Cependant, comme se plaisent à le répéter les délégués du LKP, les vrais états généraux se sont déjà tenus avec les organisations, associations, syndicats, etc, toutes émanations de la société civile qui se sont rassemblées patiemment et ont traduit leurs doléances à travers une large plateforme de revendications. Ils l’ont ensuite portée en donnant à leur convergence un nom : le Lyannaj Kont Pwofitasyon. Cette plateforme a reçu un soutien populaire d’une ampleur jamais vue en Guadeloupe et jamais démentie depuis. Elle a donné lieu à un protocole de fin d’accord, à des promesses de la part des élus des collectivités territoriales comme de l’Etat.


Les pompiers de la zone aéroportuaire sont en grève depuis le 17 décembre ! (photo Philippe Jouve)


Or aujourd’hui, le LKP dénonce un certain enlisement et entend bien rappeler aux élus notamment, leurs engagements ; d’autant qu’un certain nombre de dossiers dépend directement d’eux, comme c’est le cas pour Victorin Lurel, président de région, socialiste, avec la douloureuse question, des contrats aidés, par exemple. Or, justement, on voit M. lurel se disperser, courir des états généraux voulus par Nicolas Sarkozy au Congrès de son ami Gillot. On sent bien à travers cette frénésie que les élections régionales ne sont plus bien loin ; alors que les changements exigés par le peuple, eux, se font attendre !


Un appel à la mobilisation avait donc été lancé, avec rendez-vous à Basse-Terre ce matin, pour se rappeler au bon souvenir des élus qui allaient se réunir pour décider de notre avenir. Il avait d’ailleurs été signifié officiellement aux représentants du LKP qu’ils étaient les bienvenus s’ils souhaitaient participer au congrès. Parlant du Conseil Général où l’événement devait se tenir, Elie Domota glissait la veille, lors d’une conférence de presse ; « c’est la maison du peuple ». Dans cette optique et par un geste symbolique fort, les manifestants ont occupé sans violence l’hémicycle du conseil général, en chantant, passant par une porte dérobée et ce environ une heure-et-demi avant l’arrivée prévue des élus.


Les T-shirts ont momentanément substitué les costards-cravates dans l'hémicycle (photo Philippe Jouve)


Tout s’est passé "GEN-TI-MENT", selon le fameux mot d’ordre resté indissociable des quatre premières semaines de grève générale, « on a été invité ! » expliquaient amusés certains, alors que des discours entrecoupaient les chants. Loin de goûter cet élan populaire pour leur congrès, Gillot et Lurel, le visage grave, plutôt que d’aller à la rencontre des manifestants, sont apparus à la télévision. Bush au lendemain du 11 septembre n’avait pas l’air moins affecté ! Gillot a vigoureusement dénoncé le climat insurrectionnel qui règne en Guadeloupe se demandant si on était encore en démocratie ou si c’était la révolution. J’ai alors eu la dure tâche de décevoir un ami révolutionnaire qui m’avait aussitôt appelé depuis l’hexagone, étreint par l’émotion, et qui pensait que c’était le Grand Soir ! Les hommes politiques devraient avoir plus de considérations pour ceux qui les écoutent et éviter d’occasionner ainsi de fausses joies… Le comble du ridicule a été atteint par un Victorin Lurel livide qui a martelé que c’était « un coup d’état !». « Ce qui se passe là, c’est le 6 février 1934 » a-t’il solennellement déclaré, faisant allusion à la tentative de coup d’état fasciste avec des milliers de manifestants en armes qui s’étaient attaqués au Palais Bourbon (2). Ces émeutes avaient fait 16 morts et plus d’un millier de blessés. Voilà une comparaison à en faire pâlir d’envie un Frédéric Lefebvre pourtant spécialiste des métaphores otrancières, gratuites et insultantes ! Lorsque les dangereux fascistes ont été avisés qu’aucun élu ne viendrait, ils ont commencé par le déplorer : « ils ont peur de nous ? Peur du peuple ? » entendait-on ici ou là.


La démocratie a tremblé devant la menace putschiste (photo Philippe Jouve)


Puis, d’eux-mêmes, ils sont repartis en bon ordre, toujours "gen-ti-ment", dans la bonne humeur, tandis que le service d’ordre du LKP remettait tout en ordre et faisait le ménage !


A peu près à la même heure mais sur l’île de Marie-Galante toute proche, des hourras saluaient une victoire de la solidarité et de la mobilisation. Un jeune sans-papier haïtien a été arrêté à un contrôle ce matin et était menacé d’expulsion imminente alors qu’il est à un mois du bac. Dans un grand et bel élan fraternel, lycéens et personnels de son lycée de Grand Bourg se sont aussitôt mobilisés devant la gendarmerie jusqu’à obtenir sa remise en liberté, gagnée au moins jusqu’à ce qu’il puisse passer son bac.

Victorin Lurel n’a pas encore eu le temps de se prononcer sur cette affaire, alors les paris sont ouverts ; Chien Créole ose pour sa part trois hypothèses. Lurel va comparer la mobilisation devant le commissariat :

1° au siège de Stalingrad par les nazis pendant la seconde guerre mondiale ?

2° à la prise de l’embassade de téhéran à la chute du Shah ?

3° à la débâcle de Dien Bien Phu, il y a 55 ans, jour pour jour (3) ?


Si vous voyez d’autres rapprochements, ecrivez-nous à trikess2002@yahoo.fr, opération "Aidons Toto à se refaire". Merci d’avance !


FRédéric Gircour


(1) Les connaisseurs reconnaîtront le style percutant des titres racoleurs de France Antilles, le quotidien local, dont je m’inspire ici.

(2) Le Palais Bourbon est le siège de l’assemblée nationale.

(3) Le 7 mai 1954 pour les nuls en maths et en histoire (vous cumulez vous !) !