2ème partie : SARKOZY S'EN PREND AU LKP
Caribcreole 1, site d’information guadeloupéen sur l’actualité de la Caraïbe(1), a rendu publique, le 25 juin,une note confidentielle adressée à Nicolas Sarkozy et rédigée par Olivier Biancarelli, son chef de cabinet. Cette note visant à préparer sa venue aux Antilles stipulait entre autres choses que : « notre électorat, mais aussi de nombreux Guadeloupéens silencieux, attendent un discours ferme de votre part qui rappelle les grands principes républicains. Il serait, toutefois, périlleux d’attaquer trop directement DOMOTA qui a su conserver un capital sympathie au sein d’une partie de la population, notamment la plus modeste. »
Nicolas Sarkozy va suivre ces conseils à la lettre. Pas une fois il ne nommera Elie Domota. Il ne prendra même pas le risque de citer le LKP, ce qui ne l’empêchera pas de truffer son discours de sous-entendus, voire d’émettre des attaques très dures à l’encontre du mouvement. Sans doute considère t’il que "les plus modestes" n’auront pas l’intelligence de lire entre les lignes, allez savoir ?
Illustration PieR Gajewski (http://www.bakchich.info)
1° Pour Nicolas Sarkozy, le LKP est un mouvement raciste :
« Indiens, Syro-libanais, Noirs, Asiatiques, « Békés », Métropolitains,… vous êtes tous Français, vous êtes tous Guadeloupéens ! (…) Ne laissez personne vous diviser, ne laissez personne vous dresser les uns contre les autres ! ». Amusant de voir que Sarkozy se pose en lyanneur des Guadeloupéens, en rassembleur avec un train de retard. Pathétique en revanche de constater que ses sous-entendus jettent l’opprobre du racisme sur un mouvement qui n’a eu de cesse de réclamer l’égalité entre tous les Guadeloupéens, une égalité jusqu’à aujourd’hui bafouée. Les défenseurs de la diversité se voient accusés d’être des racistes parce qu’ils dénoncent les mécanismes qui font que les antillais de couleur sont de fait exclus des postes de décisions économiques. Mais, encore une fois, le problème ne réside pas dans l’épiderme, au sens biologique, des uns ou des autres, mais dans les rouages d’un système hérité du colonialisme où chacun est à sa place précisément en fonction de sa couleur de peau. C’est ce système que tout citoyen réellement animé par l’esprit républicain devrait remettre en cause et combattre quelque soit sa propre couleur car il constitue un archaïsme qui n’est pas sans rappeler l’iniquité de l’ancien régime.
Un peu plus loin, Sarkozy revient à la charge : « Je n’accepterai pas que, sur le territoire de la République, l’on stigmatise une catégorie de citoyens en raison de leur origine, quelle que soit cette origine. » Sans doute fait-il ici allusion à l’enquête judiciaire ouverte à l’encontre d’Elie Domota pour incitation à la haine raciale. A ce propos, je vous invite à relire la deuxième partie de l’article que j’avais consacré à cette lamentable affaire où le pouvoir ne se grandit pas à essayer de criminaliser un mouvement social (http://chien-creole.blogspot.com/2009/03/incitation-la-haine-raciale.html), par le biais de manipulations de l'opinion pour le moins douteuses.
2° Pour Nicolas Sarkozy, le LKP est un mouvement violent :
On pourrait tout au plus reprocher, parfois, l’autoritarisme dont certains ont fait preuve pour fermer les entreprises non en grève pendant les 44 jours. Mais là encore, une petite mise en perspective s’impose :
« Je n’accepterai pas que, sur le territoire de la République, l’on entrave le fonctionnement démocratique de nos institutions, en empêchant vos élus locaux de se réunir (...) », quand précisément l’occupation bonne enfant du conseil général visait à replacer le citoyen au cœur de l’appareil démocratique en rappelant aux élus leurs engagements et leurs promesses. Pour Nicolas Sarkozy, « Il n’y a pas deux sources de légitimité dans une démocratie, il n’y en a qu’une : celle de l’élection. Nos institutions, vos institutions, permettent le débat et permettent de faire des choix démocratiques. »
Pourtant je crois me souvenir que ce monsieur a précisément été élu sur la question du pouvoir d’achat. Alors certes, charité bien ordonnée commençant par soi même, Nicolas Sarkozy a lui-même augmenté son salaire non pas de 140%, comme on l’a cru dans un premier temps mais de 206%(2) ! Certes, grâce à son bouclier fiscal, les nantis ont vu eux-aussi leur pouvoir d’achat augmenter considérablement ; mesure sur laquelle le président a exclu de revenir alors que la crise frappe la France de plein fouet et qu’il préfère sacrifier chaque année des milliers de postes dans l’éducation nationale pour ne citer que cet exemple.
N’est-ce pas détourner la démocratie (étymologiquement "le pouvoir au peuple") que de trahir ses promesses électorales pour faire exclusivement le jeu des intérêts d’une minorité déjà très privilégiée ? En tentant de lutter contre la vie chère, n’est-ce pas le programme pour lesquels les Français ont voté et que Sarkozy s’est refusé d’appliquer une fois le suffrage des urnes obtenu, que le LKP a porté haut et fort ? D’ailleurs, lorsque les urnes ont décidé sans appel du rejet du traité européen, Nicolas Sarkozy, toujours lui, ne s’est-il pas assis sur la volonté démocratique qui venait de se prononcer pour faire adopter un texte à peine retouché (comme le dénoncera ce vieux gauchiste de Valéry Giscard d’Estaing), par voie parlementaire ? Ce même Nicolas Sarkozy est-il donc vraiment bien placé pour venir ensuite donner des leçons de respect de la démocratie aux Guadeloupéens ? Quand qui plus est, sa simple personne requiert où qu’il aille la présence de centaines et de centaines de policiers pour se prévaloir du mécontentement populaire, il est difficile de ne pas sourire lorsqu’ensuite il vient nous faire de grandiloquents discours sur la légitimité...
Plus grave, Sarkozy dit constater que les grèves toujours en cours en Guadeloupe « se poursuivent avec leurs lots de défilés, d’occupations et d’invectives entre Guadeloupéens », [qu’elles] « sont souvent entretenues de façon artificielle ». Il considère qu’en l’occurrence, elles sont utilisées comme « instrument de propagande et de déstabilisation politique » et que quoique le « droit de grève est un outil de revendication normal », il n’est « pas prêt à accepter l’inacceptable ». Des menaces à peine voilées alors qu’on sait à quel point les raisons de faire grève demeurent importantes, à commencer par l’amputation de l’accord Bino par son gouvernement qui va priver dans 3 ans 30 000 salariés sur 70 000 bas-salaires des 200 euros durement acquis !
Mais Nicolas a décrété que ces grèves sont illégitimes puisqu’un « large travail de consultation démocratique a été engagé en accord avec vos élus, (...), [puisque] des accords ont été conclus, que des mesures importantes ont été prises et qu’un processus de travail collectif a été engagé. » Voilà encore une confirmation, si besoin était, que les états généraux n’ont jamais été qu’un écran de fumée pour esquiver les vraies demandes formulées par la population.
Cette remise en cause des grèves en Guadeloupe par un président qui non seulement se permet de juger de leur bienfondé sans même avoir pris le temps de rencontrer les salariés mais qui clame haut et fort qu’il ne les acceptera pas, fait là encore peser une menace sur nos libertés fondamentales. Il faut surtout le comprendre comme un avertissement si le LKP était tenté de relancer un mouvement de grève en septembre, considérant que l’Etat, les élus et les patrons ont failli en ne tenant pas leurs engagements vis-à-vis des Guadeloupéens.
4° Pour Nicolas Sarkozy, le LKP est un mouvement fermé sur lui-même
« A force de rendre l’ « Autre » toujours responsable de tous les maux, la méfiance et le ressentiment se sont installés un peu partout. Cet « Autre » si commode à désigner comme bouc-émissaire: le voisin, le patron, le Français de l’Hexagone, l’élu, le représentant de l’Etat, l’immigré... » Ecouter Nicolas Sarkozy, qui a créé le ministère de l’intégration et de l’identité nationale, dénoncer le fait que l’immigré soit un bouc-émissaire, à côté qui plus est de Brice Hortefeux qui a fait le voyage avec lui, ne manque vraiment pas de sel ! Surtout quand on sait qu’à plusieurs reprises, le LKP, lui, a manifesté son soutien envers les immigrés haïtiens en particulier et leurs voisins de la Caraïbe en général. Je me souviens de cette minute de silence observée par les 48 membres du LKP en hommage à un jeune travailleur haïtien sans papier tué dans un accident du travail sur une bananeraie de la Basse-Terre, un moment fort. Je me souviens de cette rencontre de Lyannaj avec les ressortissants haïtiens organisée par Travayé è peyizan, importante organisation membre du LKP.
Nicolas Sarkozy qui n’a par ailleurs de cesse de jouer sur les divisions des Français et de monter une catégorie contre l’autre, désignant par exemple les régimes spéciaux, ou encore les fonctionnaires comme source des problèmes de la nation n’est évidemment guère crédible lorsqu’il dit condamner la division et le rejet de l’Autre. Néanmoins, contrairement aux points précédents, celui-là n’est pas tout à fait dénué de fondements puisqu’une partie de la population qui a appuyé le LKP n’a pas fait le travail sur soi qui s’imposait. On le voit par exemple, chez des gens qui sitôt Carrefour réouvert se sont précipités dans les rayons du plus gros profiteur des Antilles. On le voit également chez certains qui ce sont arrêtés à la superficie du discours du LKP et n’ont pas pris conscience que c’était un système qu’il s’agissait d’abattre et non telle ou telle catégorie de personne qui était en cause.
Il faut donc poursuivre le vaste travail de conscientisation commencé par le LKP pour que l’idée noble, ouverte et généreuse qui nous a animés pendant les 44 jours ne deviennent pas ce que Sarkozy dénonce : un repli sur soi. Rappelons au passage que l’acte fondateur du LKP a été précisément de réunir au-delà des différences et des divergences des groupes aussi distincts que Nonm, mouvement indépendantiste très radical, en passant par la CGTG ou les Verts, les groupes carnavalesques jusqu’à la CFTC !!! C’est cette ouverture et cette acceptation des différences que le mouvement social dans l’hexagone nous envie énormément et qui a fait la force du LKP, ne l’oublions pas.
5° Concernant le langage
On a beaucoup glosé pendant les 44 jours sur le "yo " de « la Gwadloup sé pa ta yo », forme impersonnelle pour désigner l’adversaire (la guadeloupe n’est pas à "eux") ; il y aurait toute une analyse à faire de la façon dont à son tour Sarkozy désigne le LKP : "on", "eux", "ceux", etc.
D’autre part, toujours sur le langage, l’usage abusif de la première personne du singulier chez Sarkozy, notamment lorsqu’il martèle à plusieurs reprises : « je n’accepterai pas que... » participe de l’hyperpersonnalisation de la politique et surtout du conflit ce à quoi Sarkozy est hélas coutumier. Cela semble flatter son égo que de montrer des velléités d’en découdre personnellement, allant quelque fois jusqu’à s’oublier comme lorsque, bien à l’abri derrière ces gardes du corps, il répondait sur le même ton à un marin-pêcheur de Guilvenec qui venait de l’insulter : "C'est toi qui a dit ça ? Ben descends un peu le dire ! Descends si t'as ..." Enfin, on a le président qu’on mérite...
(A suivre)
FRédéric Gircour (trikess2002@yahoo.fr)
(1) http://www.caribcreole1.com
(2) A ce sujet lire : http://www.pour-politis.org/spip.php?article402