dimanche 8 mars 2009

Incitation à la haine raciale


DES NOUVELLES DU FRONT DE GUADELOUPE

DERAPAGE VERBAL DE DOMOTA OU DERAPAGE DU PARQUET ?


La mobilisation continue après la signature de l’accord signé le mercredi 4 mars, qui a mis un terme à 44 jours de grève générale en Guadeloupe. De nombreux points ont été arrachés sur lesquels Chien Créole reviendra dans les jours à venir, mais les négociations se poursuivent sur de nombreux autres points et l’accord Jacques Bino sur les augmentations des bas-salaires n’a toujours pas été signé par la plupart des membres du MEDEF, notamment.


1° La colère de Fillon

Jeudi matin, Alain Roth, un des avocats de l’UGTG, a découvert en relisant les statuts du MEDEF guadeloupéen, que le syndicat patronal n’avait aucun pouvoir pour négocier sur les salaires. Personne ne peut sérieusement croire que Willy Angèle, son représentant, l’ignorait. A quoi bon, alors, ces négociations interminables avec le LKP et en présence du préfet, si le MEDEF qui, jusqu’à aujourd’hui, bloque autant qu’il le peut une résolution globale, n’avait aucune légitimité pour négocier ? Selon A.-J.V., dans un article paru sur le site électronique du quotidien France-Antilles, François Fillon en apprenant la nouvelle « aurait piqué une crise », estimant avoir été abusé par un MEDEF guadeloupéen qui n’avait d’autres ambitions que de « faire durer la grève et jouer le pourrissement ».


2° La stratégie du LKP

Le LKP, de son côté est rentré dans une nouvelle phase dans laquelle il a réussi à maintenir une forte mobilisation. De nombreuses opérations ont déçu les espoirs d’un patronat qui rêvait à un retour à la normale, comme l’occupation du centre d’appel d’Orange ou des barrages devant le casino du Gosier, devant le Mc Donald juste à côté, symbole de la restauration rapide et de la malbouffe ou encore devant Leader Price, toujours dans le bourg du Gosier. Un barrage a même provisoirement été rétabli à Poucette, sur la nationale entre cette commune et Pointe-à-Pitre avant d’être repris par l’intervention musclée des gendarmes mobiles. Si l’occupation du centre d’appel d’Orange n’a fait l’objet d’aucune violence, ni d’un côté, ni de l’autre (il demeure aujourd’hui encore bloqué par les employés en grève), des affrontements assez violents ont eu lieu à Gosier, bombes lacrymogènes contre jets de pierre. Ca a chauffé… Pendant ce temps-là, des manifestations ont eu lieu devant le carrefour de Destreland, propriété de Bernard Hayot et ses employés se sont à leur tour mis en grève. L’entrepôt d’approvisionnement de Match, Carrefour, Cora, etc. continue à être bloqué par les employés de ces enseignes qui exigent eux aussi de bénéficier des 200 euros et demandent donc à leurs directions respectives, toutes affiliées au MEDEF, de bien vouloir ratifier l’accord Jacques Bino. Comment en effet accepter que ceux qui font le plus de bénéfices refusent de contribuer à la sortie de la crise sociale ? Ce serait aussi accepter dans le privé un système à deux vitesses…


Manif du samedi 7 mars : les manifestants font le tour du rond-point de la Mulatresse Solitude, et repartent dans l'autre sens (photo FG)


Par ailleurs, le soutien populaire au LKP ne se dément pas, comme l’a démontrée la manifestation de samedi matin à Pointe-à-Pitre qui a rassemblé environ 15 000 personnes dans une joyeuse ambiance mais avec une détermination intacte.

Samedi 7 mars, une manifestation dans la bonne humeur (photo FG)


La mobilisation a commencé à porter ses fruits puisque le BTP a finalement accepté de signer l’accord Bino, ainsi que d’importantes enseignes comme Leader Price ou Novotel.


3° « On ne laissera pas une bande de békés rétablir l’esclavage »

C’est dans ce contexte que le parquet de Pointe-à-Pitre a décidé d’ouvrir une enquête judiciaire a l’encontre d’Elie Domota, pour incitation à la haine raciale et tentative d’extorsion de signature. En cause, des propos tenus en créole sur l’antenne d’une chaîne de télévision locale. Elie Domota affirmait que les entrepreneurs qui refuseraient l’accord d’augmentation de 200 euros des bas-salaires devraient quitter la Guadeloupe, avant d’ajouter qu’il ne laisserait pas « une bande de békés rétablir l’esclavage ». L’accusation du parquet semble difficilement soutenable devant une cour de justice, et Elie Domota dénonce une mesure d'intimidation.


4° Lecture raciale versus lecture sociale

Si on relit les propos tenus par Domota avec un peu de subtilité, on réalise qu’il a pris la précaution langagière de parler d’ « une bande de békés ». Il ne dit pas « les békés veulent rétablir l’esclavage » mais « une bande de békés », autrement dit, cette déclaration ne s’applique pas à tous les békés selon une lecture raciale mais à une "bande" d’entre eux, en l’occurrence les exploiteurs, puisqu’il vient de préciser qu’il s’adresse aux entrepreneurs qui refusent de signer l’accord.

Elie Domota au Palais de la Mutualité (photo FG)


Personnellement, j’ai connu des békés qui n’exploitaient personne et étaient respectueux de tous, architectes, profs, etc., mais force est de reconnaître qu’une partie de la communauté béké, dont la fortune est issue de l’esclavage, continue à exploiter le reste de la population. A cet égard, leur conduite pendant cette grève est tout à fait révélatrice de leur conception du dialogue et de la justice sociale. Et si le parquet doit aussi ouvrir une enquête judiciaire à mon encontre pour une telle lapalissade, il va falloir sérieusement songer à agrandir les prisons de Guadeloupe car on est très nombreux à faire le même constat.

Le terme d’esclavage employé par Domota est quant à lui sans doute exagéré mais il s’inscrit naturellement dans l’histoire des Antilles, où les esclaves, à l’abolition de 1848, se sont transformés en un sous-prolétariat qui continue à être dominé et exploité par une infime minorité qui se trouve descendre des anciens esclavagistes. Autrement dit les structures héritées du colonialisme sont toujours en place en Guadeloupe, ce que dénonce le LKP.


5° Renvoyer Huygues Despointes et Domota dos à dos

Le procureur, Jean-Michel Prêtre accuse Elie Domota d’incitation à la haine raciale, autrement dit de haine exercée à l’égard d’une race. Alors, pour commencer, il faudrait rappeler que le concept de race est une aberration, scientifiquement parlant. Mais admettons que Domota ait incité à la haine contre la race des békés, il faudrait là-encore rappeler que cette race n’existe pas. Les békés sont des blancs originaires de l’hexagone, comme l’auteur de ces lignes, à ceci près qu’au lieu d'être arrivés il y a quatre ans comme moi, ils sont arrivés ici il y a environ quatre siècles et que certains ont conservé la mentalité de cette époque ! Moi qui suis blanc comme un béké, je ne me sens en rien visé par les attaques de Domota et pour une bonne raison : les propos du porte-parole du LKP ne sont ni une attaque par rapport à ma couleur de peau, ni à mes origines. On peut tout au plus considérer qu’il pointe du doigt une partie d’une communauté. Admettons, là encore. Mais qu’est-ce qui définit cette communauté au-delà du sentiment d’appartenance et de reconnaissance mutuelle qui lie ses membres ? Certes une histoire commune peu reluisante, mais encore ? La pureté de la race. Ce n’est pas moi qui l’affirme, c’est l’un des plus éminent béké de Martinique, Alain Huygues Despointes, précisément poursuivi sur son île pour « incitation à la haine raciale » après avoir reconnu cet état de fait dans le reportage de Bolzinger « Les derniers maîtres de la Martinique », passé sur Canal +. Tout le monde sait bien aux Antilles que le béké qui se marie avec une femme de couleur ou la béké avec un homme de couleur se retrouve au ban de sa communauté. Alors, mettre au même niveau en les accusant du même crime, celui qui entend remettre en cause un système raciste et discriminatoire et celui qui en fait l’apologie, ça trahit une position indéfendable et malhonnête que les avocats de la défense auront tôt fait de pourfendre.


6° Un rapport de force nécessaire

Quant à la menace de poursuite d’extorsion de signature, au-delà de la question du droit, ça pose une question de société : est-ce que l’autisme social dont fait preuve le grand patronat en maintenant des structures archaïques d’exploitation n’est pas en soi une violence terrible infligée à la population ? Quand on pense à la souffrance des familles qui se retrouvent à découvert le quinze du mois, aux conditions de vie dans les zones défavorisées qui ont stupéfait certains journalistes venus de l’hexagone avec qui j’ai parlé ces jours derniers, et surtout quand on sait les fortunes colossales que ces grands patrons békés accumulent depuis des siècles, on pourrait s’interroger sur le caractère républicain d’une justice qui condamnerait toute remise en cause de ce système… Ce que Domota veut faire comprendre à cette poignée de personnes qui contrôle l’essentiel de l’économie guadeloupéenne, c’est qu’il n’est plus possible de se comporter en Guadeloupe comme il y a trois siècles ; la population n’est plus disposée à supporter ce système. On peut trouver ça radical, coercitif ou que sais-je encore, mais cette radicalité est à la mesure de l’oppression et de l’exploitation vécue par une grande partie de la population, à la hauteur du désespoir d’une jeunesse privée d’avenir.


7° Une erreur politique

En trainant Domota devant la justice, l'Etat s’apprête à commettre une grave erreur politique.

Le procureur de la République, Jean-Michel Prêtre, à gauche (photo FG)


Les charges qui pèsent contre Domota ont bien peu de chance d'aboutir à une condamnation. S'il s'agit comme le prétend Elie Domota d'intimider en jetant l'opprobre sur un homme, cette tentative est vouée à l'échec. Elie Domota, s’il se défend d’avoir incité à la haine raciale, n’est aucunement effrayé par la perspective du procès, au contraire, il a déjà demandé à ce qu’il soit télévisé ! En bon connaisseur de l’histoire caribéenne, il sait que c’est le procès intenté à Fidel Castro après l’assaut de la caserne de la Moncada qui a permis à ce dernier de populariser ses thèses. Renonçant à se défendre, il avait profité de la tribune qui lui était offerte pour déclamer un vibrant plaidoyer intitulé « l’histoire m’absoudra » contre le dictateur Batista. Plus près de Domota, le "procès des 18 patriotes", tenu à Paris, qui a suivi la répression de mai 1967, a permis aux Guadeloupéens accusés d’être à l’origine des troubles, de retourner la situation en faisant à leur tour le procès du colonialisme avec l’appui de témoins illustres comme Jean-Paul Sartre ou Aimé Césaire. La France entière a compris que ces jeunes hommes n’avaient rien à faire au banc des accusés et qu’il était inadmissible que ceux qui, en défense d’un système colonial, avaient exécuté des dizaines de citoyens guadeloupéens, n’y soient pas. Le pouvoir s’est totalement discrédité lors de ce procès où comparaissait notamment le docteur Numa, aujourd’hui un vieil homme, qui fait partie du LKP.


8° Les références d’Elie Domota

Nul doute que Domota maîtrise parfaitement ces références. Pour comprendre son état d’esprit, le procureur devrait relire la conclusion de la déclaration commune lue par un des accusés au procès des patriotes, Serge Glaude, avant que le jugement ne soit mis en délibéré et que tous ne sortent libres : « (…) Notre lutte est juste, car c’est une lutte pour la libération, la dignité et le progrès de notre peuple. C’est avec une entière sérénité que nous attendons notre verdict.

Si ce progrès devait amener la fin de trois siècles d’incompréhension à notre égard, si ce procès devait marquer le début d’un dialogue que nous souhaitons, nous ne garderions aucun ressentiment des longs et pénibles mois d’emprisonnement que nous avons soufferts, car nous estimerions qu’au regard des nombreuses et innocentes victimes des 26 et 27 mai [1967], c’était là le tribut à payer pour la dignité de notre peuple, pour la fin de sa misère, et pour la naissance d’une véritable fraternité, non seulement entre les Guadeloupéens, mais encore entre le peuple guadeloupéen et le peuple français. » (rapport d’audience du vendredi 1er mars 1968 - extrait de "Mai 67", publié par le CO.PA.GUA, Collectif des Patriotes Guadeloupéens )


FRédéric Gircour (trikess2002@yahoo.fr)