ENTREVUE AVEC ALEX LOLLIA
3ème (et dernière) PARTIE : BILAN DE LA 1ère SEMAINE DE LUTTE ET PERSPECTIVES
Chien Créole : Alex, quels ont été, dans ton action, les temps fort, tout au long de cette première semaine de grève ?
Alex Lollia : Alors, pour commencer, nous avons créé, au sein de la CTU, le GITL (petit pied de nez au GIGN), Groupe d’Intervention des Travailleurs en Lutte. C’est avec cet instrument qu’on pose les premiers barrages, dès le mardi matin, sur la voie qui mène de Gosier à Pointe-à-Pitre, dans les Grands-Fonds de Sainte Anne, mais aussi dans Pointe-à-Pitre même, pour entraîner les lycéens avec nous. De fait, les lycées de Baimbridge et de Jardin d’essai ont du fermer. Les barrages ont tenu très longtemps en dépit de la présence des forces du "désordre". En périphérie de Pointe-à-Pitre, beaucoup de gens vivent dans des cases insalubres. Nous sommes allés parler avec ces jeunes chômeurs ou ces vieux travailleurs abandonnés à eux-mêmes, certains nous ont suivi.
Il n' y a pas qu'au Medef que les drapeaux rouge chatouillent les narines (photo FG)
CC : l’UGTG, le syndicat majoritaire indépendantiste nationaliste, qui est plutôt dans une logique de crescendo, n’avait pas prévu de faire des barrages dès le mardi, ça a du les prendre de cours ?
AL : Compte tenu de la radicalité du programme de revendications que notre collectif a présenté, il fallait des actions radicales pour bien montrer notre détermination au patronat, à l’Etat et aux élus locaux. Pour nous, il n’a jamais été question de faire des promenades de santé dans Pointe-à-Pitre. Nous avons voulu prendre l’initiative et marquer notre rythme car nous n’avons aucun intérêt à faire traîner le conflit, nous ne voulons pas désespérer les gens.
Le mercredi, nous avons lancé, comme on dit ici, une colonne molokoï, du nom de cette petite tortue de terre locale, très lente dans ces déplacements. Cette opération escargot partie de St François, a eu un très gros retentissement symbolique lorsque nous avons bloqué le pont de la Gabarre qui relie l’île de Grande-Terre à celle de Basse-Terre, séparées par la rivière salée. Ca peut sembler anecdotique, mais ce pont est vraiment symbolique ici de la radicalité d’une lutte. En quinze ans, il n’avait pas été occupé une seule fois. Quand tu t’attaques à un tel symbole, les représentants de l’Etat, les militaires, savent immédiatement que c’est du sérieux. Un colonel de la gendarmerie est très vite arrivé, essoufflé et de mauvaise humeur. Je l’ai accueilli en lui tendant la main et avec un grand sourire pour détendre l’atmosphère et nous lui avons remis une requête pour le préfet : « ouverture immédiate des négociations sur la base de la plate-forme de revendications du collectif ». Au cours de cette même journée, nous sommes, avec d’autres, parvenus à bloquer Jarry.
(photo FG)
Le jeudi, les paysans ont rejoint le mouvement et nous nous sommes entendus avec eux pour bloquer le centre commercial de l’homme qui détient la moitié de l’économie guadeloupéenne, quasiment toute l’économie martiniquaise et une bonne partie de l’économie de la République Dominicaine et de l’Île Maurice.
CC : pour nos lecteurs, il faut préciser qu’il s’agit du carrefour Destreland, qui appartient à Hayotte, un béké (blanc descendant des esclavagistes) considéré comme une des plus grosses fortunes de France.
AL : Absolument, je veux parler de Carrefour Destreland, ce temple de la consommation. L’opération a été une réussite.
Le vendredi, nous avons lancé une campagne d’explications des revendications du collectif, cahier en main, au cours des AGs que nous avons organisées dans différentes entreprises. En fin de matinée, Jarry [la plus grosse zone industrielle d’Europe politique NDLR] était quasiment vide. Nous avons fait un gros travail.
Le che avec nous (photo FG)
Et enfin ce matin a été l’apothéose avec cette manifestation qui a rassemblé au moins 12 000 personnes. Personnellement, je n’avais pas vu de manif aussi importante depuis 1985.
CC : Que réponds-tu aux travailleurs qui disent que s’ils respectent le droit de grève, ils entendent que leur droit à travailler soit reconnu aussi.
AL : En ce qui nous concerne, nous comprenons qu’un salarié soit réticent à faire grève dans cette période. Nous sommes nous-mêmes des salariés et nous connaissons leurs revenus, 600€ pour les temps partiels, et puis les CDD ont l’épée de Damoclès du licenciement qui pèse sur leur tête. Même si ces employés partagent les mêmes préoccupations que nous, il leur est parfois difficile de rentrer dans le mouvement surtout lorsqu’ils maintiennent seuls une famille. Il ne s’agit donc pas, comme une brute, d’intervenir et de bloquer, mais d’arracher leur participation en les convainquant de la justesse du mouvement, précisément pour lutter contre la précarité sociale dans laquelle ils se trouvent. Et puis s’ils ne participent pas aujourd’hui, nous avons l’espoir qu’ils participeront demain et ça se passe souvent comme ça.
CC : Comment vois-tu la fin du conflit ?
AL : Il me semble que nous sommes à la croisée des chemins : ou bien l’Etat et le patronat cèdent sur l’essentiel du programme (le coût de la vie, la sauvegarde des terres agricoles, les emplois pour les jeunes, etc) ou bien ils opposent une résistance acharnée et la remise en question du pouvoir politique va se poser d’une façon ou d’une autre : qui sont ces gens qui prétendent nous diriger et ne sont même pas capables de résoudre nos problèmes les plus élémentaires ?
la jeunesse présente (photo FG)
CC : Est-ce que tu es inquiet d’un risque de débordement, du risque que ça dégénère dans la violence ?
AL : Non, je ne suis pas inquiet. Bien sûr, on n’est pas à l’abri d’épiphénomènes, mais globalement nous contrôlons la situation. Le drame se serait que ce mouvement social soit battu. Je redoute ce que la déception des espoirs soulevés pourrait entraîner…Voilà pourquoi nous sommes condamnés à gagner.
CC : Et au-delà de ce conflit, quelles perspectives pour la Guadeloupe ?
AL : Tout le processus que nous sommes en train de vivre nous fait ressentir cruellement l’absence d’une organisation révolutionnaire et prolétarienne à l’intérieur de ce mouvement. Notre prochain combat consistera à la construire, patiemment mais sûrement, en s’appuyant sur le GITL. Quand l’émotion laissera place à la raison, il nous faudra réfléchir à une autre organisation de société sans exploitation et sans oppression. Notre destin n’est pas d’être les "sisyphes" de l’histoire !
Un espoir énorme (photo FG)