SAUVÉ PAR SON ORDINATEUR
Chien Créole a été le premier à vous relater l’arrestation de Patrice, accusé d’être l’assassin de Jacques Bino, une arrestation particulièrement brutale et qui posait beaucoup de questions. Les médias locaux et nationaux n’ ont eu vent de ce scoop que le lendemain ! Samedi, grâce à Eric Nanette, président de l'association de défense des locataires de la cité Henri IV, j'ai retrouvé Patrice, choqué mais libre. Dans sa petite chambre, je lui fais lire l’article de Chien Créole écrit la veille.
Chien Créole : Est-ce que tu veux corriger quelque chose ?
Patrice : Non, ça s’est passé comme tu le racontes. En fait je n’ai rien compris à ce qui m’arrivait. Ça a été tellement rapide et brutal... Ils m’ont frappé sauvagement et quand j’ai réalisé, j’étais menotté, assis sur le lit. C’est seulement quand j’ai vu une femme entrer avec un T-shirt avec écrit Police Judiciaire que j’ai compris que les types cagoulés qui me sont tombés dessus étaient des policiers. En fait c’était le RAID.
Patrice, le visage marqué par les violents coups qu'il a reçu des hommes du RAID (photo FG)
CC : C’est le RAID qui t’a arrêté ?!! Eh ben, dis donc. Et pourquoi est-ce qu’ils t’ont frappé comme ça? Tu as tenté de résister ?
P : Mais non, je dormais !
CC : Quand tu as saisi que c’était la police, tu as fais le rapprochement avec la mort de Jacques Bino ?
P : Tout de suite, je leur ai dit que je n’y étais pour rien mais ils étaient persuadé de tenir le coupable. Ils m’ont dit que j'avais été dénoncé.
CC : Peut-être que parmi les jeunes interpelés la veille, certains, sommés de lâcher un nom, ce sont dit qu’en balançant un gars tranquille et qui fait des études de droit, il aurait plus de chances qu’un autre de s’en sortir ?
P : Je ne sais pas, c’est possible. Il y a des jalousies aussi. Ça fait un an ou deux que je ne descends plus pour trainer avec eux. Et puis il y a toutes sortes de rumeurs,. Ce matin, un ami est passé me voir . Il m'a dit: "ouais, je comprends pas, il y a des gens qui disent que la police a trouvé un grand fusil chez toi." Tu vois les bâtiments ici sont comme écrasés, pour la mentalité des gens, c'est pareil.Je vais essayer de partir une quinzaine de jours, je ne sais pas où, mais là, j'ai vraiment besoin de changer d'air.
CC : Comment s’est passée ta garde-à-vue ?
P : Beaucoup mieux, pour l’interrogatoire, ils ont été corrects, rien à voir avec les conditions de l’arrestation.
CC : Tu as pu voir un docteur, là-bas ?
P : Ils m’ont proposé mais j’ai refusé, je ne voulais rien leur devoir. Je n’ai pas mangé non plus. J’ai demandé à Dieu de me protéger et de me libérer.
CC : quand est-ce que tu as été relâché ?
P : hier soir à 22h00, j’ai pu voir un docteur ce matin qui m’ a fait un certificat d’incapacité de 5 jours.
CC : Ils t'ont expliqué pourquoi ils t’ont relâché ?
P : Ah et bien déjà ils n’ont rien trouvé chez moi et puis c’est mon ordi qui m’a sauvé : ce soir là, je tchattais avec mes amis. Je sortais un peu, sur le pallier, comme à mon habitude et ce que je voyais je l’écrivais sur MSN.
CC : et qu’est-ce que tu as vu ce soir là ?
P : Il y avait de l’animation. J’ai entendu des coups de feu et j’ai vu une trentaine de jeunes cagoulés passer en face. Les policiers ont pris mon unité centrale d'ordi, fait parler l’historique et ont compris que je n’avais rien à voir avec ça. A l’heure du coup de feu, j’étais en train d’écrire, par chance ! Et puis je n’avais pas de trace de poudre sur les mains. Ils m’ont demandé en me libérant de ne pas trop faire de vagues avec cette affaire.
CC : Tu comptes porter plainte ?
P: Oui, ma grand-mère a pris contact avec un avocat. Hier je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, aujourd’hui, je suis écœuré, en colère. Je ne peux pas laisser passer ça. Ils ne peuvent pas arriver comme ça chez quelqu'un, lui casser la figure, l'emmener juste parce que quelqu'un l'a dénoncé. Je leur ai dit, je comprends que vous fassiez votre boulot, je suis étudiant en droit, mais je ne peux pas accepter la méthode ! Sans compter qu'ils ont laissé ma grand-mère comme ça, après l'avoir bousculée, dans un appart qui ne fermait plus en jetant toutes ses affaires et les miennes par terre. Heureusement que les gens de l'association la Tyrolienne qui soutient les locataires de la cité Henri IV sont venus l'aider, en lui changeant la serrure très rapidement.
CC: C'est ta grand-mère qui t'a élevé?
P : Oui ma mère est décédée quand j'avais six ans et après ça mon père est parti. Depuis je vis avec elle. On survit avec sa petite retraite, ce n'est pas facile tous les jours.
CC: Est-ce que cet épisode t'as encore plus motivé à étudier le droit, pour réparer les injustices comme celle que tu viens de vivre et qui s'est heureusement bien terminée?
P: j'étais déjà bien motivé avant. Je veux m'en sortir. Dès que les gens apprennent que tu viens d'Henri IV, tu es tout de suite catalogué comme voleur, dealer; ils vont jamais penser qu'il y a des étudiants, d'autres jeunes que ces jeunes là ça. J'ai envie de m'en sortir pour dire à tous ces gens, je viens d'Henri IV, j'ai réussi et je vous emmerde ! Ça c'est un truc que la grève a montré : si tu veux quelque chose, il faut aller le chercher;
Entrevue réalisée par Frédéric Gircour