NOUVELLES DU FRONT DE GUADELOUPE
25ème JOUR DE GREVE GENERALE : MANIFESTATION A MOULE
1° Chants et danses
Tous les éléments aujourd’hui étaient réunis pour que le caractère profondément pacifique du mouvement initié par le LKP depuis le 20 janvier, tourne à la violence (voir article « ça va péter »). Et pourtant, il n’en fut rien, bien au contraire. La manifestation s’est déroulée dans une excellente ambiance, au rythme des percussions, en dansant, rassemblant 25 000 personnes, qui ont parcouru 15 km.
2° Propagande et manipulations
Suite à la réunion de ce matin (voir article précédent), nous les hexagonaux étions plus nombreux. Je me suis retrouvé avec les camarades d’Attac à porter une banderole anti-sarkoziste, en queue de cortège. Le service d’ordre nous a proposé de passer devant et a commencé à faire que les gens s’écartent pour nous laisser passer. Nous avons remonté comme ça une bonne partie du cortège, en portant la grande banderole à bout de bras, trois hexagonaux et une antillaise. Sur notre passage les gens lisaient le message et s’exclaffaient, nous applaudissaient, manifestaient leur satisfaction de voir des hexagonaux engagés dans cette lutte. Tous ceux qui dans l’hexagone ou ici, voudraient réduire le LKP à un mouvement raciste, seraient bien inspirés de venir faire un petit tour dans des manifestations comme celle-ci et voir tous ces témoignages de sympathie, ces sourires, ces petits gestes. Ceux qui pensent que le mouvement s’essouffle ou est le fait d’une minorité très active, devrait venir constater par eux-mêmes comme les gens applaudissent depuis leur fenêtre, des jeunes aux petites grand-mères, il y a vraiment un élan incroyable. Et on ne peut pas dire que Moule soit une ville particulièrement à gauche puisqu’elle est dirigée par une mairesse de l’UMP ! Méfiez-vous de tout ce que colportent ceux qui ne sont jamais au contact des manifestants ou seulement pour baisser leurs rideaux de fer. Aujourd’hui, on raconte dans l’hexagone beaucoup de bétises : que la nourriture manque, que tous les magasins ont fermé, en oubliant de préciser que si les supermarchés sont fermés, les petits lolos, c’est comme ça qu’on désigne les épiceries ou les petits restos ici, sont ouverts et bien achalandés.
La banderole (photo FG)
3° D’une répression à l’autre ?
Mais oublions toutes ces contre-vérités, qu’elles soient colportées de bonne foi ou non et revenons-en à nos cabris. Après un certain temps, la foule est devenue trop dense pour pouvoir s’écarter. Nous avons alors couru le long des petites rues parallèles, un bon moment avant de laisser derrière nous les 25 000 manifestants et de nous poster avec notre banderole en attendant que le cortège nous rejoigne. Les journalistes s’en sont donnés à cœur joie, caméras et appareils photos se sont braqués sur nous. Quand les délégués sont passés, tous ont souri et nous ont salués. Nous les avons laissés passer devant et les avons suivi à trois mètres de distance, jusqu’à la fin de la manifestation, près du cimetière. Les discours en présence de la député de Guyane, Christiane Taubira, extrêmement populaire ici, ont rendu hommage aux cinq ouvriers agricoles tués par les gendarmes le 14 février 1952, alors qu’ils étaient en grève pour une augmentation de salaire. Bien sûr ces mots ont une résonance particulière pour tous ceux qui les écoutent alors que se profile la répression annoncée par Jégo depuis Paris. Mais l’heure est à la fête, pas aux soucis et les danses et chants succèdent aux discours sur la scène.
4° Un facteur nouveau
En fait, faisant preuve d’une grande intelligence et sagesse, le collectif a su éviter l’écueil de la violence en ce jour symbolique. Le message envoyé est clair : nous sommes un mouvement pacifique, nous l’avons largement démontré tout au long de ces quatre semaines de lutte, même si l’agression d’un petit commerçant à Sainte-Anne, vendredi matin est venu ternir cet impressionnant bilan. Si violence il doit y avoir, elle ne sera pas de notre fait, mais de la répression policière. Nous ne nous laisserons pas intimider par les menaces du secrétaire d’Etat. Domota a appelé à renforcer le mouvement, à ce que tous les commerces et édifices publics soient fermés ce lundi ; on annonce aussi des barrages sur les routes, comme au début du conflit. Mais alors que la répression était programmée et annoncée par Jégo, un nouveau facteur risque de chambouler la donne. Les médias de la France entière et même de la presse internationale sont là. Comme me disait mon ami Rudy, filmé ce matin en train d’acheter du poisson aux pêcheurs à St Felix, tu ne peux plus faire un pas sans tomber sur une caméra. Le gouvernement prendra-t’il le risque de réprimer un mouvement social reconnu comme légitime par tous. Le coût en terme d’image risque d’être trop cher à payer…
Même M6 est là !(photo FG)
Et en cas de bavure policière, c’est toute la Guadeloupe qui pourrait bien s’embraser. Lundi sera donc un jour important. On ne peut pas exclure qu’une répression brutale des mamblos, policier anti-émeute s’abatte sur les manifestants. Comment réagiront les gens dans l’hexagone si au mépris qu’il affiche par son silence et son immobilisme depuis le début, Nicolas Sarkozy ajoute la violence contre un groupe pacifiste de travailleurs ? Pas sûr qu’ils laissent faire, alors qu’ils sont déjà au bord du clash social eux-mêmes !
Frédéric Gircour