mardi 17 février 2009

radicalisation


DES NOUVELLES DU FRONT DE GUADELOUPE

27ème JOUR DE GREVE GENERALE : SUR LES BARRICADES


C’est alors que je suis en chemin pour la Mutualité que j’apprends qu’Alex Lollia est aux urgences et que la répression a été très violente sur Poucette. Le caractère raciste de l’agression ne va sûrement pas calmer les esprits : quand il est revenu à lui, Alex a déclaré depuis sa civière au CHU, que le policier l’avait traité de « sale négro », de « sale chien », et avait également dit : « on sait que t’es un meneur, on a vu ta gueule à la télé ; on est là pour vous mater » tout en le matraquant violemment. C’est un miracle si son cœur n’a pas lâché, car il a de gros problèmes cardiaques. Ça fout vraiment les boules de penser à ce flic frappant et insultant ce prof de philo toujours si calme et humain, manquant de le tuer… Heureusement les nouvelles vont arriver petit à petit, bonnes, il va mieux, il va s’en remettre. Nous sommes beaucoup à pousser un grand ouf de soulagement. Les autorités aussi devraient pousser un ouf de soulagement car s’ils avaient tué un homme de cette qualité, reconnu et apprécié de tous, la Guadeloupe, à cette heure, serait vraiment à feu et à sang.


Un barrage m’arrête en chemin, à hauteur de la bifurcation pour le collège Edmond Bambuck, sur la RN4, section Belle Plaine. Je gare la voiture et décide d’aller voir. En fait ce sont les mamblos, ces gendarmes anti-émeutes, qui bloquent le passage et contiennent une petite foule amassée d’environ 200 personnes. Peu de temps avant, ils ont pris d’assaut un barrage routier, arrêté quelques manifestants et fait reculer les autres. Le face à face va durer longtemps, la tension est palpable et on sent que la moindre étincelle peut tout faire déraper. La répression contre le groupe d’Alex Lollia et ce déploiement de force provoque la colère des gens. Autant sur le Moule, l’ambiance était bonne enfant, autant ici, je prends la mesure de l’exaspération des gens après un mois de grève, sans rien obtenir de sérieux, alors que tout le monde reconnaît la justesse des revendications du LKP. Tous s’accordent à dire qu’il y a un sérieux problème ici mais personne ne veut assumer sa part de responsabilité et surtout pas le grand patronat.


Manifestant blond, manifestant noir, tenus en joue à Belle Plaine (photo FG)


Comme représentant de l’Etat, les gens n’ont eu qu’un préfet désavoué au bout de quatre jours de négociation, un Jégo fuyant à tout bout de champs et n’assumant pas ses engagements, une Alliot-Marie (ministre chargée entre autre de l’Outre-Mer) et un Nicolas Sarkozy aux abonnés absents. Ils les ont vu à la télé, insaisissables, plein de suffisance, mais là ils ont enfin des représentants de l’Etat en face d’eux, bien réels, ne fuyant plus mais faisant face. Les gens les interpellent, les invectivent parfois, leur expose leurs problèmes, essayent de les convaincre de la justesse de leur combat, tout en leur faisant comprendre qu’ils ne sont pas les bienvenus.


Calmer les esprits, sur Belle Plaine (photo FG)


Ils essayent de convaincre un jeune gendarme noir, sans doute originaire de la Réunion, que lui aussi est discriminé, qu’il y a des quotas de noirs à la gendarmerie et que même s’il est capable, il restera toujours sous les ordres d’un blanc. Devant des gendarmes hexagonaux qui ne pipent mot, un manifestant leur crie : « on fait les mêmes études que vous maintenant ! ». Il y a quelque chose de touchant dans ce rejet et à la fois cette demande de reconnaissance. Malgré leurs multiples protections et autres boucliers, malgré leurs matraques et leurs bazookas lance-bombes lacrymos, ils semblent bien désarmés ces mamblos devant ce flot de paroles et de chants ininterrompus.


Et puis soudain de grosses pierres sont lancées du haut des falaises qui bordent la nationale en les visant ! Ils se replient près de leurs véhicules mais sont acculés. Parmi les manifestants, on sent un vent de panique car s’ils attaquent pour se dégager, ce ne sont pas les assaillants du haut des falaises mais eux qui vont prendre les coups. Ceux qui encadrent, très intelligemment, ordonnent un repli d’une dizaine de mètres qui permet aux mamblos de s’avancer et de se mettre à l’abri, car les arbres en haut de la falaise les protègent des jets de pierres. C’est la première fois depuis le début des manifestations que j’observe un acte violent, et ça se produit en plein jour, alors que les violences des jeunes, pour l’instant, avaient eu lieu la nuit. Les soi-disant forces de l’ordre reprennent leur sang froid mais leur situation reste inconfortable. Des gens venus de l’autre côté commencent à s’amasser à une trentaine de mètres derrière eux, nous leur faisons toujours face et ils ne sont pas tranquilles avec la falaise qui les surplombe. Ils tiennent encore un peu et puis l’ordre du repli est donné.


Belle Plaine - Le repli (photo FG)


Alors qu’ils remontent dans leurs camions, des pierres fusent dans notre dos, passent au-dessus de nos têtes et s’écrasent au sol ou viennent frapper leurs véhicules qui ne demandent pas leur reste. Les jeunes du quartier de Belle Plaine n’ont pas la patience des membres du LKP !


Belle Plaine - Débandade sous les jets de pierres (photo FG)


France 2 et France 3 sont là, entre autres, tout s’est passé très vite. Les gens présents saluent le départ des militaires par des cris de joie et des applaudissements. A un camarade à qui je fais remarquer qu’il serait dommage que les 25 jours d’action non-violente soient entachés par des gestes de ce type, il me rétorque que ce sont eux qui ont commencé en attaquant le groupe de Poucette et en déchaînant la violence. Pas sûr que les médias retranscrivent l’incident comme ça… On s’avance mais soudain des pierres viennent de la gauche, lancées de derrière les cases. Par bonheur, celles-ci non plus ne touchent personne. Tous crient au responsable de cette intifada tardive qui ne nous voie pas derrière la maison « yo ja pati !!! », ils sont déjà partis ! Les fourgons n’ont pas encore disparus au loin que tout le monde se précipite sur tout ce qui leur passe sous la main pour remonter Un barrage routier : grosses pierres, souches d’arbre, morceaux de tôle, branches de cocotiers, etc. On prend soin aussi de bloquer la rue adjacente pour ne pas être pris par surpris comme ceux de Poucette. A la réflexion, c’est maintenant une barricade que l’on remonte.


Belle Plaine - Nouvelle barricade (photo FG)

Une bataille rangée aura aussi lieu, un plus tard, à la Boucan, autre point névralgique pour la circulation, opposant manifestants et mamblos. D’après mon ami Stéphane, il y aurait un blessé assez grave parmi des manifestants qui, aux dernières nouvelles, s’étaient repliés jusqu’à Ste Rose.


L'après-midi, j'assiste à la libération des quarante interpellés parmi lesquels je reconnais certains amis de la CTU.


Chien Créole reste mobilisé pour vous informer.


Frédéric Gircour