mardi 3 mars 2009

Les 200 euros de la discorde


LA PORTEE DE L’ACCORD JACQUES BINO


L’accord Jacques Bino, ainsi nommé en hommage au syndicaliste abattu à Pointe-à-Pitre, a déjà été signé par certaines organisations patronales dont il faut applaudir la bonne volonté (UCEG, UMPEG, CRTG, OPGSS, UNAPL). Son caractère interprofessionnel peut permettre, juridiquement parlant, de l’étendre à tous les patrons, qu’ils en soient ou non signataires, mais il faut s’attendre à de nombreux recours, pour une issue finalement incertaine. La mobilisation pour exiger la signature de toutes les organisations patronales s’impose donc plus que jamais, si l’on ne veut pas que les mêmes causes reproduisent les mêmes effets dans un an, dans trois ans.


Humour et clin d'oeil pâtissier chez Café Leroy à Jarry


1° L’accord Jacques Bino, pour qui et combien ?

L’accord s’applique, contrairement à toutes les bêtises qu’on a pu lire ici ou là, y-compris sur Chien Créole (un peu d’autocritique ne fait pas de mal !), pour tous ceux qui gagnent jusqu’à 1,4 fois le SMIC. Ils bénéficieront de 200 euros nets mensuels supplémentaires. Ceux gagnant entre 1,4 et 1,6 fois le SMIC, obtiendront eux une augmentation sur une base minimale de 6% de leur salaire qui sera fixée dans le cadre de négociations de branche ou d’entreprise. Enfin, pour ceux percevant plus de 1,6 fois le SMIC, une augmentation sur une base minimale de 3% sera fixée dans le même cadre. Ces pourcentages différents en fonction des revenus de base, auront pour effet de resserrer l’assiette des salaires, tout en élévant globalement le niveau, ce qui en soit est une très bonne chose.


2° Le montage financier des 200 euros

Les collectivités territoriales participeront chaque mois pendant un an à hauteur de 50 € par salarié (sauf pour les entreprises de plus de 100 employés qui prennent d’entrée ces 50 € à leur charge), l’Etat mettra lui la main à la poche pendant 3 ans à hauteur de 100 euros. Au bout des trois ans, les 200 € seront intégralement à la charge du patronat. C’est un immense progrès par rapport à la proposition d’Yves Jégo qui voulait faire cadeau de 108 millions d’euros d’argent public, sous forme de cadeaux fiscaux, aux entreprises afin que celles-ci augmentent en contrepartie les salaires sans que ça leur coûte un seul centime !


3° La question du public

Pour très intéressant qu’il soit, l'accord Bino comporte certaines carences : par exemple, il ne concerne que les employés du secteur privé. Or, il existe, dans le service public, bon nombre de travailleurs très précaires, je pense notamment aux "contrats aidés". Une réunion a été organisée lundi ces salariés et le LKP, et une délégation se rendait aujourd’hui mardi au Conseil Régional pour rencontrer Victorin Lurel, président de Région, afin de lui faire des propositions et de tenter de trouver des solutions dignes.


4° Hurler avec les loups

La MEDEF s'est retiré de la table des négociations le jour où il aurait du signer l'accord. Comme je l'écrivais dans un précédent article,Willy Angèle, le porte-parole de cette organisation a prétendu que sa sécurité n'était pas assurée et a mis en avant une prétendue tentative d’agression sur sa personne par Elie Domota.

Willy Angèle caricaturé en Calimero, image circulant sur internet


Si le préfet, présent lors de cette soi-disant agression, a aussitôt démenti que Willy Angèle ait couru le moindre risque, un bon nombre de médias nationaux ont renchéri à loisir sur le climat de violence et de terreur que le LKP ferait souffler sur la Guadeloupe. Ils s'en sont donnés à cœur joie pour hurler avec les loups en dénonçant « les méthodes terroristes » du LKP et en le présentant sous un jour caricatural, aussi éloigné que possible de la réalité du terrain. Cette rapidité à reprendre et amplifier les thèses de M. Willy Angèle pourraient presque donner à penser à des esprits faibles manquant de recul et de jugeotte, que les grands médias doivent être entre les mains de patrons du MEDEF. Heureusement que de mon côté, je fais un travail sur moi-même pour ne pas me laisser aller sur les pentes naturelles de ma paranoïa...


5° Manipulations

Le MEDEF refuse donc de signer l'accord. Ce n’est pas la seule organisation patronale qui soit dans ce cas; d’ailleurs, les employés des patrons adhérant au MEDEF ne représentent que 4000 salariés sur les 85 000 pouvant bénéficier d’augmentations. Seulement voilà, tout le monde a parfaitement compris que c’est cette organisation qui tire les ficelles du refus. Dans un premier temps, le MEDEF avait pourtant essayé de se cacher derrière des organisations comme la CGPME, qui regroupe des patrons de petites et moyennes entreprises, en se disant préoccupé pour ces petites boîtes qui ne survivraient pas à l’augmentation de salaire. Il nous refaisait le coup de la stratégie mise à nu par Bolzinger dans son excellent documentaire « les derniers maîtres de la Martinique ». Le lobby béké, pour défendre ses intérêts, avait instrumentalisé des pays comme le Cameroun et la Côte-d’Ivoire pour convaincre le gouvernement français de continuer à surtaxer la banane centre-américaine et pour attendrir l’Europe. Ils ont organisé des réunions avec des membres du gouvernement français dans lesquelles ils ont pris soin de rester en retrait en se cachant derrière les ministres de l’agriculture africains. Ça avait payé pour la banane, ici les gens ne sont pas dupes et tout le monde a bien compris qui est responsable du blocage. La situation du MEDEF est d’autant plus inconfortable que chacun sait que ses membres ont les reins suffisamment solides pour assumer ces augmentations sans problème et que c’est pour eux une question de principes, certainement pas de moyens. Le cas de la CGPME est très différent : c’est vrai qu’elle refuse également de signer l’accord mais ce syndicat représentant des patrons de petites et moyennes entreprises a-t’il vraiment le choix, quand on sait dans quelles proportions ses entreprises dépendent des grosses boites, justement affiliées au MEDEF, qui les sous-traitent ?


6° Les temps changent

Le grand patronat guadeloupéen s’est trompé en pensant qu’au XXIème siècle, on pouvait encore continuer à prendre les gens pour des imbéciles, les manipuler comme des enfants, les contrôler par leur tube digestif et quelques discours patriotiques. Ils ont cru que ça suffirait pour ne pas remettre en cause un système hérité du colonialisme, pour maintenir intacts exploitation et accaparement des richesses sans jamais rien lâcher, en pariant sur le fait que « de toutes façons, quand ils auront faim, ils reprendront le travail ». Ce mépris et cette arrogance ne passent plus. Le peuple n’en peut plus de l’injustice sociale, de l’absence de répartition des richesses qu’il produit et dont il ne profite pas ou si peu. Il a ouvert les yeux. Certains ici rappellent la réaction de Louis XVI quand on lui a appris la prise de la Bastille : « Mais, c’est une révolte ? » Ce à quoi le duc de Liancourt lui avait répondu : « non sire, c’est une révolution. ». Les grands patrons guadeloupéens devraient peut-être méditer cette leçon de l’histoire et comprendre ce qu’il en coûte d’essayer d’empêcher pendant des siècles toute évolution sociale. Il serait temps pour eux de comprendre les bouleversements profonds de société qui se profilent à l’horizon et de les accompagner plutôt qe de s'y opposer systématiquement. En attendant la mobilisation continue pour exiger du MEDEF qu'il signe. Je viens d'apprendre que le centre commercial Carrefour de Destreland, qui avait rouvert ses portes ce matin, est à nouveau fermé : ses employés viennent de se mettre en grève !


FRédéric Gircour (trikess2002@yahoo.fr)