mercredi 8 juillet 2009

Analyse critique du discours du 26 juin de N. Sarkozy (3)


3ème partie : LES MESURES PROPOSEES


1° Le RSTA

Nicolas Sarkozy commence par se féliciter pour trois mesures qui ont déjà été prises dont, de loin la plus importante est la « mise en place du RSTA pour les plus modestes ». Le RSTA, Revenu Supplémentaire Temporaire d’Activité est le montage aux Antilles qui, tout en remplaçant le RSA de métropole, va permettre le versement par l’Etat des 100 euros auxquels il s’est engagé pendant 3 ans pour les bas-salaires. A la différence du RSA, le RSTA ne tient pas compte de la situation familiale. Par contre, le mode de calcul savant des ayant-droits est en train de créer de grosses frustrations chez bon nombre de salariés qui pensaient rentrer dans le cadre de l’accord Bino. Quant au "T" de temporaire, il va prendre tout son sens dans 3 ans pour les 30 000 salariés concernés par la seule extension de l’accord et qui reviendront à la case départ, le patronat n’ayant pas à assurer la pérennisation des 200 euros...


2° La LODEOM

Autre grande solution apportée par l’Etat, la LOEDOM, LOi pour le Développement Economique des Outre-Mers, adoptée le 13 mai dernier et qui se veut « une loi qui affirme la capacité des territoires d’outre-mer, et donc de la Guadeloupe, à générer leurs propres emplois, à créer leurs propres richesses, à prendre en charge leur destin. » La mesure phare qui doit selon le président permettre ça, c’est « la création de zones franches globales d’activités ». Encore un cadeau fait au patronat en réalité, dans la veine de la défiscalisation qui n’a jamais profité à la population. Cette solution, éminemment néolibérale n’est en aucune façon une réponse aux attentes que les Guadeloupéens ont très majoritairement exprimées pendant les 44 jours de grève générale. D’ailleurs Sarkozy lui-même rappelle qu’il s’agissait d’une de ses promesses de campagne.


Toujours dans le cadre de cette loi, « l’aide aux intrants et aux extrants pour compenser les coûts de transport des matières premières avec l’Union européenne et favoriser la production et la transformation de produits locaux » pourrait par contre avoir une certaine utilité.


3° Le développement endogène

« Les Etats Généraux démontrent que les Antillais veulent pouvoir vivre des fruits de leur travail, de la production de leur terre et de la valorisation de leur environnement. » Il se réfère aux états généraux mais se garde bien de dire que la question du développement endogène est un des chevaux de bataille du LKP, mais après tout peu importe : le simple fait que le président de la république française évoque ouvertement cette question au sujet de la Guadeloupe est en soi une révolution dont il y a lieu de se réjouir. Depuis Colbert, l’économie des Antilles a toujours été pensée en fonction des intérêts de sa métropole, jamais pour son développement propre. C’est ce que le LKP désignait dans le préambule de l’accord Bino comme « économie de plantation ». C’est donc un tabou qui a été brisé. Ceci étant dit, les mesures qu’il propose, à savoir que les producteurs se regroupent pour mieux faire valoir leur droit auprès des distributeurs et qu’un label soit créé risquent d’être bien légères. Pour Alain Plaisir, membre du LKP et auteur de "A la conquête du marché intérieur" un ouvrage paru avant le soulèvement du LKP et qui évoquait déjà ces questions, pour mettre en œuvre ce programme, il faudrait s'attaquer aux importateurs, qui sont les plus grands profiteurs.


Alain Plaisir (photo FG)


Dans son discours, Nicolas Sarkozy s’étonnait : « Qui peut comprendre que malgré ses centaines de kilomètres de côtes, 50% du poisson consommé aux Antilles soit importé d’Amérique du Sud ou d’Asie ? Qui peut comprendre que les Antilles ne produisent que 24% de leur consommation de fruits? » Interrogé par Chien Créole, Alain Plaisir réagit à ces propos : « Qui importe ces poissons, ouassous, légumes et fruits si ce ne sont les békés qui contrôlent totalement l’import ? Des filières entières de la production locale ont ainsi été laminées. C'est le cas de l'igname, c'est le cas des fruits et bientôt du poisson. Sarkozy feint d'ignorer que nous sommes dans une société libérale capitaliste, avec des capitalistes dont le souci n'est pas le développement économique, mais le profit. Qui osera s'attaquer aux profits de ces capitalistes ? D'ailleurs le système libéral le permet- il ? Pour un véritable changement économique, il faut s'attaquer aux dogmes du libéralisme : loi du marché, avantages comparatifs, libre-échange, etc. ».


Nicolas Sarkozy évoquera aussi le potentiel de l’énergie géothermique de la Guadeloupe qui ne produit pourtant que 15 megawatt contre « 150 mégawatt d’une énergie à la fois plus polluante et plus chère pour les centrales au diesel» Pas encore une mesure, mais une piste pas inintéressante à explorer.


4° La question statutaire

La veille de sa visite éclair en Guadeloupe, Sarkozy annonçait l’organisation d’un référendum dans l’île sœur pour que les Martiniquais décident s’ils veulent ou non s’acheminer vers un statut d’autonomie. En Guadeloupe, les élus lui ont demandé un délai de 18 mois de réflexion pour proposer ce qu’on sait déjà être la même chose. Du moins cela leur donnera-t’il l’opportunité d’apparaître comme étant à l’initiative de cette démarche et selon eux, de regagner, au passage, un peu en crédibilité. Gérer le calendrier, c’est déjà gérer quelque chose ! Le président n'a d’ailleurs pas ménagé ses compliments à l’égard de Lurel en particulier, qu’il a d’ailleurs chaleureusement appelé Victorin à plusieurs reprises pour le plus grand bonheur de ce dernier.


Nicolas Sarkozy, reçu en grande pompe par Victorin Lurel, président de région à gauche (enfin, sur la photo au moins) et Jacques Gillot (président du conseil genéral, à droite (photo Dominique Chomereau - lamotte, source : http://www.guadeloupe.franceantilles.fr/)


Au-delà de leurs différences partisanes (Lurel comme Gillot est socialiste), on voit qu’il est important aux yeux de Sarkozy de restaurer l’autorité des élus locaux, ne serait-ce que pour contrecarrer l’ascendant du LKP sur la population. Parlant des résultats des états généraux, il évoque un nouveau projet de société, un « projet, dont les élus du peuple doivent être les maîtres d’œuvre, avec les acteurs économiques et sociaux (...) »


Pour en revenir à l’autonomie de la Guadeloupe, Nicolas Sarkozy a réaffirmé avec force son attachement à cette solution : « J ’ai toujours eu l’intime conviction que les collectivités d’outre-mer ne pouvaient pas être gérées comme celles de métropole. A ceux qui souhaitent que leur territoire dispose de davantage d’autonomie, ma réponse n’a jamais varié. Je suis ouvert à toute demande d’évolution qui serait formulée par vos élus, pourvu que celle-ci soit au service d’un projet dans l’intérêt de tous les Guadeloupéens ». Nul doute que cette autonomie aille dans le sens de l’histoire et soit la seule à pouvoir éventuellement donner le cadre nécessaire au développement endogène de l’archipel. Reste maintenant à convaincre les électeurs que les élus qui verraient leurs pouvoirs accrus seront capables d’en faire un meilleur usage que ce qu’ils en ont toujours fait... Le manque de confiance, globalement mérité, même si heureusement il y a des exceptions, envers la classe politique locale était déjà sans aucun doute l’un des principaux motifs de l’échec du référendum de 2003 sur cette même question...


A cela, il ajoute : « s’il doit y avoir évolution institutionnelle – ce qui sera avant tout votre choix –, cette évolution devra se faire dans ce cadre constitutionnel qui scelle notre pacte républicain. La question de l’indépendance n’est donc pas à l’ordre du jour. La Guadeloupe est française et le restera. » Fanfaronnade gratuite : pourquoi apporter cette précision, alors que le LKP n’a jamais demandé l’indépendance, si ce n’est justement pour semer la confusion dans les esprits et prêter au LKP des intentions qui ne sont pas les siennes (voir article ci-dessous) ?


Et puis enfin pour ce qui concerne la question statutaire, Nicolas Sarkozy s’est bien sûr prononcé en faveur d « une collectivité unique regroupant conseils régional et général ». De même qu’on peut trouver une similitude entre le souhait de l’autonomie des DOM et la décentralisation entreprise dans les régions de l’hexagone, la question de la collectivité unique n’est pas une préoccupation spécifiquement antillaise pour le gouvernement. La suppression pure et simple à terme des départements fait partie de ses desseins pour la France entière et les Antilles se prêtent parfaitement pour commencer puisque région et département se confondent ici en un seul territoire !


5° Renforcer le rôle de l’état

Nicolas Sarkozy fait l’aveu à demi-mots des carences de l’Etat en Guadeloupe, trop jacobin d’un côté et laxiste, vis-à-vis des monopoles notamment, de l’autre « pourquoi ne pas imaginer un Etat déconcentré qui soit davantage à l’image de la population locale ? Un Etat plus ferme sur le respect des règles du jeu économiques et sociales, et notamment des règles de la concurrence. » On peut néanmoins douter de sa bonne volonté sur ce point quand toutes ses actions passées démontrent que lui et ses amis politiques n’ont eu de cesse de déréguler le marché, dans la plus pure tradition néolibérale.


6° L’éducation

En fin de compte, si on doit retenir une chose positive dans le discours de Sarkozy, une chose qui ne s’arrête pas aux bonnes intentions, c’est son annonce concernant les grandes écoles : « Ici comme ailleurs, on doit avoir des exigences, viser l’excellence, faire émerger ses propres techniciens, ses propres cadres. C’est pourquoi j’ai demandé à l’Université des Antilles-Guyane de se rapprocher, dans le cadre des Etats Généraux, [NDLR : on se demande bien ce que les états-généraux ont à voir là dedans] des Grandes Ecoles de notre pays, notamment les Ecoles de commerce et celles d’ingénieur, pour envisager des partenariats renforcés et des formations communes. Je veux saluer L’Ecole des Hautes Etudes Commerciales -- HEC -- qui s’est immédiatement portée volontaire et qui, très prochainement, commencera à former, avec l’UAG, des cadres de haut niveau à la gestion d’entreprise et au management, ici en Guadeloupe. Je suivrai personnellement ce dossier pour que d’autres Ecoles s’engagent sur ce chemin. Nous devons faire de la Guadeloupe un pôle de formation de haut niveau qui rayonne dans la Caraïbe et au-delà ! »


Voilà une proposition concrète qui répond vraiment aux attentes des Guadeloupéens. Reste à espérer maintenant que des mesures seront prises contre les discriminations à l’embauche dont souffrent les jeunes Antillais diplômés, que ce soit dans l’hexagone ou chez eux. Cette excellente initiative ne portera ses fruits que si on donne un petit coup de pouce à ces jeunes, par rapport à d’autres qui postuleraient depuis Paris par exemple, à compétence égale. Sinon, à quoi bon pousser les jeunes à s’investir dans le développement de leur archipel ?


En revanche, en dehors de la formation des élites, qui constitue, je le redis, une très bonne chose, aucune mesure sérieuse n’a été annoncée concernant l’éducation plus basique. Le bilan dressé par le président est pourtant alarmant : « le taux de chômage des 15-24 ans est de 55% en Guadeloupe, c’est le plus élevé d’Europe ! 33% des 25-34 ans sortent du système scolaire sans le moindre diplôme en Guadeloupe ! C’est inacceptable. » Je ne pense pas que ceux-là feront HEC... Et seule solution mise en avant : l’armée ! Et oui Nicolas Sarkozy s’enorgueillit du fait que le RSMA, Régiment du Service Militaire Adapté connaisse « des taux d’insertion remarquables des publics difficiles, de l’ordre de 80% ». Il y aurait peut-être quelque chose à faire avant d’arriver à ces 33%, dont je ne sais quel pourcentage échouera au RSMA , mais ça n’est pas évident quand la Guadeloupe n’échappe pas à la logique de l’hexagone qui voit encore pour la rentrée prochaine 11 200 postes sacrifiés... Toutefois, il n’y a pas lieu de s’affoler, Nicolas nous rassure : en Guadeloupe, on peut compter sur l’armée !


FRédéric Gircour (trikess2002@yahoo.fr)