mercredi 8 juillet 2009

La question qui tue ; )


LE LKP EST-IL INDÉPENDANTISTE ?


Longtemps je n’ai pas cru bon d’approfondir cette question qui pour moi n'en est pas une : Le LKP n’a jamais demandé l’indépendance. Interrogé sur ce sujet, Elie Domota s’était esclaffé : « si on doit obtenir l’indépendance sur la base de la plateforme de revendication du LKP, même moi, j’y vais pas ! » Seuls ses adversaires politiques font un blocage depuis le début sur ce thème, brandissant chaque fois que possible l’ "épouvantail" d’Haïti.


1° « Finir comme Haïti »

Ce discours qui consiste à rétorquer à toute évocation de l’indépendance « vous voulez que nous devenions comme Haïti ! » est très prégnant en Guadeloupe. Mais ce qu’on ne dit pas, c’est que si Haïti est dans la triste situation qu’on lui connait aujourd’hui, c’est précisément pour alimenter ce genre de préjugés. Les puissances impérialistes de l’époque (Haïti emporte son indépendance en 1804) ne pouvaient tolérer que la première république noire de l’histoire devienne un exemple. Pensez donc : une nation où les esclaves s’étaient complètement débarrassés de leurs esclavagistes (événement tout à fait inouï : dans les autres pays du continent, ce sont les descendants d’européens nés sur le sol américain qui conduiront les guerres d’indépendance) ; il fallait à tout prix que cette expérience soit un échec et serve d’exemple pour les autres colonies, qui sinon ne manqueraient pas, tôt ou tard, de vouloir emprunter le même chemin.


Nord-est d'Haïti (photo FG) (découvrez mes autres photos d'Haïti sur (http://picasaweb.google.fr/bourlingue/HaTiEtRPubliqueDominicaine#)


Même si les dirigeants haïtiens ont indéniablement une part de responsabilité, la situation d’Haïti tient surtout au fait qu’elle a été dès ses débuts, littéralement étouffée économiquement (à ce sujet, je vous invite à relire l’article que j’avais écrit sur la passionnante intervention de Didier Dominique, leader du syndicat haïtien Batay Ouvriyé, qui explique les mécanismes délibérés qui ont fait d’Haïti l’un des pays les plus pauvres au monde :

http://chien-creole.blogspot.com/2009/01/comprendre-ce-qui-se-passe-en-hati.html).

Remplissant parfaitement leur rôle depuis l’indépendance d’Haïti, le curé, l’instituteur, le politique, etc., tous se sont employés à rappeler, sur tous les tons que vouloir l’indépendance ici, c’était vouloir amener la Guadeloupe à connaître les affres et la déchéance matérielle de l’ancienne perle des Antilles et je l'ai moi même entendu à de nombreuses reprises. La leçon a été bien assimilée. Ceux qui continuent à véhiculer ces préjugés se font donc les complices, consciemment ou non, de ce crime commis à l'encontre d'Haïti.

Le vodou(1), religion haïtienne, a lui aussi été diabolisé sans vergogne à seule fin d’envoyer au monde ce message : « laisser les nègres s’autogouverner et ils retomberont inéluctablement dans la sauvagerie d’où on les avait sorti (sic)».


2° Les luttes pour l’indépendance des années 70 et 80

Cela n’empêchera pas la Guadeloupe de connaître ses luttes pour l’indépendance alors que les empires britanniques et français s’effondraient totalement, perdant colonie sur colonie. Il y aura d’abord le GONG qui connaîtra la répression que l’on sait en 67 (lire http://chien-creole.blogspot.com/2009/05/parallele-historique.html). La relève sera assurée par deux groupes qui vont se former clandestinement dans les milieux agricoles, l’UTA et l’UPG. Ils vont finir par fusionner pour donner l’UGTG (Union Générale des Travailleurs de la Guadeloupe), le syndicat indépendantiste dont Elie Domota est aujourd’hui le secrétaire général. Puis le mouvement syndical indépendantiste va chercher une expression politique. Celle-ci va se concrétiser dans la création d’un parti, l’UPLG (Union Populaire pour la Libération de la Guadeloupe) qui perdra petit à petit de son influence jusqu’à la fin des années 80, laissant finalement le champs politique à l’UGTG.

Entre temps, des expériences de lutte armée ont été menées, conduites par Luc Reinette, qui fondra successivement deux groupes de libération nationale, le GLA (Groupe de Libération Armée) et l’ARC (Alliance Révolutionnaire Caraïbe) qui revendiqueront à eux deux des dizaines d’attentats frappant des cibles symboliques aux Antilles, en Guyane, mais aussi sur le sol métropolitain.


Luc reinette, dans une manifestation du LKP (photo FG)


La plupart des membres de ces organisations seront arrêtés et ça marquera la fin de l’illusion d’une indépendance à portée de la main. N’empêche, c’est difficile à réaliser aujourd’hui mais on n’en est peut-être pas passé loin, à cette époque.


3° Le soupçon de l’objectif caché

Aujourd’hui, l’UGTG est la principale organisation indépendantiste de l’archipel. Pour donner une petite idée de son poids, ce syndicat a obtenu à lui seul plus de 50% des voix aux élections prudhommales de l’an dernier.


Elie Domota, secrétaire général de l'UGTG, porte-parole du LKP et Jimmy Brother (photo FG)


C’est aussi l’organisation qui est à l’origine de la création du LKP et jusqu’à aujourd’hui la plus importante des 48 organisations qui le composent. Dès lors, il était facile pour ceux qui ne voulaient pas affronter le LKP sur le terrain social, vu la justesse de ses revendications, de déplacer le débat en le portant sur la question de l’indépendantisme. Les revendications sociales deviennent secondaires du moment qu’on estime que la véritable finalité du LKP est l’indépendance. Restait à persuader les Guadeloupéens si massivement pro-LKP, qu’ils se font manipuler par de vilains tontons macoutes assoiffés d’indépendance. Cette propagande n’a pas fonctionné mais elle a pu tout de même insinuer le doute dans un certain nombre d’esprits. La réalité est bien plus complexe.


4° Une autre analyse

Les indépendantistes guadeloupéens du XXIème siècle sont bien loin de l’emballement qu’ont connu leurs prédécesseurs, enivrés par la vague de décolonisation qui secouait le monde. Ils sont pour la plupart (il demeure tout de même une vieille garde, y-compris au sein de l’UGTG qui n’a guère évolué), arrivés au constat suivant : depuis que la Guadeloupe a été colonisée par la France, jusqu’à nos jours, son développement a toujours été pensé depuis Paris dans l’intérêt de l’économie métropolitaine, jamais en fonction d’un développement endogène de l’île.

Dans un premier temps, toute son économie a été tournée vers l’exportation, essentiellement de la canne-à-sucre, qui avait une vraie valeur dans les siècles passés et qui, avec l’esclavage, avait un coup de revient quasiment nul. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Quasiment tout ce que nous consommons en Guadeloupe est importé. L’aide de l’état arrive massivement sous forme de subventions multiples et variées qui gonflent artificiellement l’économie guadeloupéenne. Il ne reste plus qu’au Guadeloupéen, ainsi assisté, à tomber dans le pire consumérisme pour faire la fortune, avec l’argent public, des importateurs et des entreprises françaises qui ont mis en place des monopoles aussi redoutables qu’illégaux. Bien sûr, l’Etat ferme les yeux. Il y a toujours eu connivence entre d’un côté les grands patrons et les grands propriétaires békés et de l’autre l’Etat. Le documentaire « Les derniers maîtres de la Martinique » est très parlant à cet égard. Le résultat c’est qu'au jour d'aujourd'hui loin de pouvoir prétendre à l’indépendance, la Guadeloupe est de fait totalement assujettie à la dépendance économique que lui impose la métropole.


5° Un changement de priorité

Les indépendantistes ont donc revu leurs priorités. Il s’agit à présent de s’orienter vers un développement qui soit pensé par et pour les Guadeloupéens pour que, dans 70 ou 80 ans, comme me le confiait un éminent membre de l’UGTG, on puisse prétendre à l’indépendance. En l’état, c’est impensable. La Guadeloupe doit trouver un équilibre qui lui permette de subvenir à ses besoins, loin de l’esclavage ou de l’assistanat qui l’ont régi jusqu’à présent. Il est donc faux de dire que le LKP avance masqué. L’UGTG se reconnaît dans les revendications du LKP pour une bonne raison : elles vont dans le sens de plus de responsabilités pour les Guadeloupéens, elles ouvrent une piste de réflexion sur la production et la consommation locale et plus généralement sur le développement endogène de l’archipel. Elles répondent à l’exigence de justice sociale qui est censé animer tout syndicat. Cela ne veut pas dire que le but du LKP est l’indépendance. Les Verts par exemple, qui ne partagent pas cette visée n’en approuvent pas moins l’idée de la consommation de produits locaux qui va dans le sens d’un plus grand respect de l’environnement.


Harry Durimel, membre du LKP et dirigeant des Verts Guadeloupe, avocat de son état et ici plongé dans le code civil (photo FG)


C’est cela le LKP, avoir eu l’intelligence de mettre de côté ses divergences pour trouver un socle d’objectifs communs à court et moyen terme dans l’intérêt du plus grand nombre.


6° Un beau défi

Construire pas à pas le développement de la Guadeloupe est un beau défi à relever, qu’on soit indépendantiste ou non. Cela implique certainement un changement de statut, l’autonomie permettant seule de penser le développement de la Guadeloupe de l’intérieur. Cela exige aussi une révolution des mentalités, dans le mode de consommation, dans les responsabilités à conquérir, l’esprit d’excellence à acquérir, la créativité dont il va falloir faire preuve, etc. Le LKP a créé un sursaut dans ce sens, il faudra le concrétiser.


Manifestants de l'UGTG pendant les 44 jours de grève générale (photo FG)


Ça ne peut pas se faire non plus sans la France qui a une si grande responsabilité dans la situation économique actuelle. Après s’être tant enrichi sur le dos des Antillais, l’hexagone peut aujourd’hui payer sa dette en jouant respectueusement un rôle d’accompagnement. Bien sûr, il faut pour cela arrêter le langage cynique qui prétend que la Guadeloupe coûte cher à la France ! Et puis, soyons clair : l’indépendance ne se fera pas non plus sans un véritable ancrage dans la sphère économico-culturelle de la Caraïbe, et là aussi, il y a du travail ! Que cela conduise ou non un jour à l’indépendance, qui se plaindra du fait que la Guadeloupe connaisse enfin un développement harmonieux et construise un meilleur avenir à ses enfants ? En fin de compte, ne l’oublions pas, c’est le peuple qui décidera s’il veut ou non être indépendant, n’en déplaise à M. Sarkozy qui clamait à Petit-Bourg : « La Guadeloupe est française et le restera » !


7° Avoir le choix

Contrairement à ce que certains affirment, ce ne sont pas les indépendantistes aujourd’hui qui mettent un couteau sous la gorge de qui que ce soit, c’est au contraire le résultat d’une politique pluriséculaire désastreuse et délibérée pour la Guadeloupe qui pousse les Guadeloupéens à ne pas voir de salut en-dehors de l’appartenance à la France. La décision d’unir ou non son destin à celui d’une nation, conformément au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ne saurait être juste conditionnée par de simples considérations matérielles mais doit être prise en âme et conscience. Cela doit traduire un élan du cœur, non de l’estomac. Souhaitons qu'un jour les Guadeloupéens aient réellement le choix.


FRédéric Gircour (trikess2002@yahoo.fr)


(1) Cette orthographe respecte le créole haïtien