RÉVÉLATIONS DE LA COUR DES COMPTES
Le 26 février, pendant le conflit social qui secouait la Guadeloupe, le Figaro Magazine publiait dans ses colonnes un sondage choc : « êtes-vous favorable à l’indépendance de la Guadeloupe ? », avec ce titre : « Guadeloupe, le sondage qui dérange. » 51% des Français avaient répondu "oui" selon l’institut de sondage aux méthodes souvent contestées, Opinionway. Cette question était d’autant plus "dérangeante", pour reprendre le qualificatif du Figaro, que si la Guadeloupe avait formulé, avec le LKP, de nombreuses exigences, le thème de l’indépendance n’en faisait absolument pas partie (à ce sujet, je vous renvois à mon article sur cette question : http://chien-creole.blogspot.com/2009/07/la-question-qui-tue.html).
source : le figaro magazine, repris par le site http://www.marianne2.fr/
2° « Absurde »
Ainsi pour Regis Soubrouillard, de Marianne 2, qui réagissait le jour même de sa parution, ce sondage était « absurde » (voir : http://www.marianne2.fr/Guadeloupe-le-Figaro-invente-le-sondage-chantage_a175529.html) : « si une courte majorité des métropolitains se déclarent, en effet, favorables, à l’indépendance de la Guadeloupe, à l’inverse 80% des Guadeloupéens déclarent leur attachement à la métropole », ce que le sondage du Figaro s’était bien gardé de dire. Le journaliste de Marianne poursuivait : « Et en cas de référendum (…), inutile de rappeler que ce sont évidemment les habitants de la Guadeloupe qui seraient appelés à s’exprimer sur le sujet et non les métropolitains. Bref, un sondage qui n’apporte rien (…) et une polémique montée de toutes pièces (…) qui dérange surtout la raison journalistique. »
3° 78%
On pouvait tout de même y voir un intérêt : celui, pour le pouvoir, de brouiller le message du LKP dont les revendications sociales commençaient à plaire énormément aux Français de l’hexagone comme en témoigne le résultat d’un autre sondage, celui de BVA pour Orange, l’Express et France-Inter sorti lui, quelques jours plus tôt : « près de huit Français sur dix (78%) trouvent justifié le mouvement social qui paralyse la Guadeloupe depuis plus d'un mois » (voir http://www.20minutes.fr/article/304572/France-Le-mouvement-social-en-Guadeloupe-justifie-pour-78-des-Francais.php). D’ici à ce que l’hexagone ne soit tentée tenté d’emboîter le pas à la Guadeloupe, il y avait de quoi donner des sueurs froides à l’hôte de l’Elysée. Dans ce contexte, peut-on sérieusement penser que détourner le débat sur une question aussi "hors-de-propos", avait un autre but que de faire oublier les vraies questions soulevées par les Guadeloupéens ?
Alors, en effet, ça faisait le jeu du pouvoir, mais me direz-vous, le Figaro n’est pas le pouvoir, c’est un journal de droite, certes, mais en France, monsieur, la presse est indépendante ! Et puis, Hugues Cazenave, le président d’Opinionway, se défend même de diriger un institut marqué à droite, alors proche du pouvoir, pensez donc ! D’ailleurs, toujours selon le sondage BVA, 67% des électeurs de droite estimaient eux-aussi que le mouvement social était justifié, comme quoi, la droite, la gauche, ça ne veut plus rien dire !
5° Le lièvre de monsieur Seguin
Or voici que la cour des comptes présidée par Philippe Seguin, peu suspect de crypto-communisme, dans son premier rapport consacré au budget de l’Elysée, vient de lever un lièvre. C’est Dan Israel, dans un article publié sur le site d’Arrêt sur image (http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=2156), intitulé « l’Elysée payait les sondages Opinionway / Figaro / LCI » qui le révèle : Opinionway « comptabilise plusieurs dizaines de cas de sondages commandés et payés par l'Elysée, alors qu'ils ont été également publiés dans la presse », sans qu’il en ait été fait mention, naturellement. Voilà une pratique pour le moins douteuse. Combien on parie que la question de l’indépendance de la Guadeloupe en fait partie ? Chien Créole attend maintenant que ceux qui s’étaient empressés de critiquer, sans argument recevable, les résultats obtenus par l’institut de sondage Qualistat en mars (voir http://chien-creole.blogspot.com/2009/03/sondage.html), dénoncent avec d’autant plus de vigueur, cette basse manipulation qui met une fois de plus en lumière l’interventionnisme de l’exécutif dans le domaine de la presse.
A noter encore, que toujours selon l’excellent article de Dan Israel à propos du rapport de la cour des comptes, « On y apprend que l'Elysée a signé le 1er juin 2007 une "convention" avec un cabinet chargé de réaliser des études d'opinion, "pour un coût avoisinant 1,5 million d'euros"(1). Les conditions sont... intéressantes : pas d'appel d'offre, ce qui est illégal pour un marché public de cette dimension (…)». Et c’est le même Sarkozy qui vient ensuite nous expliquer que les fonctionnaires coûtent trop chers à la France, qu’il faut réformer les services publics, les privatiser autant que possible (France Telecom, EDF, la poste, etc.), travailler jusqu’à 67 ans, le dimanche en zone touristique sans plus être payé double et j’en passe et des meilleures… Enfin, on peut toujours se consoler en se disant qu’1,5 million d’euros, ce n’est finalement pas si cher payé puisque les résultats obtenus déterminent en grande partie les positions de notre président. Du moins lui permettent-ils de savoir jusqu’où il peut aller dans sa tâche de destruction systématique des acquis sociaux et quand il est plus judicieux de reculer pour attendre un moment plus favorable… C’est important tout de même !
FRédéric Gircour (trikess2002@yahoo.fr)
(1) Ce type de dépenses faramineuses est à mettre en parallèle avec des chiffres comme l'augmentation de 20% entre 2007 et 2008 du budget de fonctionnement de l'Elysée ou les 206% d'augmentation de Sarkozy 1er par lui-même. Le député René Dosière rappelle qu'en 2008, l'Elysée a dépensé la bagatelle de 112 millions d'euros (http://www.lesechos.fr/info/france/afp_00166861.htm?xtor=RSS-2010). Ceci dit, quand, comme en Guadeloupe récemment, on a eu la "chance" d'assister à un déplacement sarkozien, on comprend en partie dans quel type de gouffre mégalomaniaque les deniers publics sont engloutis...